Se protéger face aux feux de forêts

Opérationnel - Le 19 juillet 2017

[MAGAZINE] En 2017, la saison feux de forêts a commencé en avance. Et elle a plutôt mal débuté, notamment après le feu qui a ravagé 300 hectares à Bastelica, en Corse-du-Sud, au mois de mars, au cours duquel six sapeurs-pompiers ont été brûlés ou blessés et trois engins détruits. Un nouvel épisode qui incite à s’intéresser à la préparation et la sécurité des personnels engagés dans des conditions physiques souvent extrêmes face à des sinistres violents, évolutifs et potentiellement imprévisibles.

Article extrait du magazine "Sapeurs-pompiers de France" n°1102 - juillet/août 2017

[Mise à jour du 05/062019] 

Saison 2019 : Les sapeurs-pompiers mobilisés pour protéger la forêt et nos concitoyens contre les incendies
En 2018, les surfaces brûlées par les feux de forêts en France ont représenté 5.124 ha, un chiffre en baisse par rapport aux 24.500 ha touchés en 2017. La vigilance ne doit pas baisser. Dès le début de la saison estivale, tous les acteurs de la lutte contre ce type de feux sont mobilisés pour protéger la forêt. Les sapeurs-pompiers, parfois aidés de renforts venus de toutes les régions, oeuvrent ensemble contre ces incendies, soutenus par les moyens aériens de la sécurité civile.

Lire le dispositif 2019 ]

Visuel Feux de forêts - ©Sdis13
© SDIS13

Le nombre de feux de forêt a tendance à se stabiliser en France, et les surfaces brûlées sont en diminution grâce aux outils de surveillance des services de lutte et de secours à la gestion forestière aux interventions précoces. Moins de 2 % de ces incendies parcourent des surfaces supérieures à 100 hectares. « Un feu de forêt n’est pas différent d’un feu de structure, mais la zone d’intervention est plus large et plus mobile », explique le colonel Henri Bénédittini, directeur départemental du service d'incendies et de secours (DDSIS) de l’Aude et animateur de la commission Technique de la FNSPF.

Pour se préparer à ces épisodes, les sapeurs-pompiers ont dû trouver le bon compromis en matière d’équipement. « Si on voulait être protégé à 100 %, il faudrait une armure. On ne pourrait plus bouger... Nous avons besoin d’une protection efficace, mais qui permet de se déplacer et de tirer des tuyaux dans des conditions pas trop difficiles. » Les sapeurs-pompiers s’équipent donc de tenues normalisées, indéchirables et ignifugées, de casques F2 avec protections oculaires étanches pour se protéger de la fumée, de gants et de bottes, mais aussi d’équipements auto-sauveteurs qui leur permettent de rester en autonomie le temps de se mettre à l’abri, tout en pouvant respirer malgré la fumée.

Sécurité à l’attaque

« En France, nous avons développé la sécurité à travers le véhicule. Le camion-citerne est le refuge des sapeurs-pompiers. Il est conçu avec des vitres résistant à des températures extrêmes, doté d’appareils permettant d’extraire les fumées et d’y respirer, et dispose d’un système d’autoprotection thermique extérieure en plus de l’autopompe. C’est le lieu où l’on est protégé du feu et des fumées lorsqu’on est piégé dans un incendie. Les hommes peuvent y attendre en sécurité que les flammes passent, avant d’aller se réfugier dans une zone brûlée sécurisée », rappelle le colonel Henri Bénédittini.

Ces véhicules doivent se positionner sur les flancs de l’incendie, jamais frontalement car « la puissance d’un feu de forêt en frontal correspond à une centrale nucléaire tous les 100 mètres. C’est un phénomène naturel d’une puissance énorme », prévient le directeur départemental de l’Aude. Autre consigne, ne jamais se poster sur les fronts montants car un feu se déplace plus vite en pente montante que descendante ; et toujours attaquer l’incendie sur le flanc, pour le réduire et l’éteindre progressivement.

« Les feux de forêt font, en moyenne, une victime tous les deux ans. Il y a eu une seule victime dans l’Hérault l’an passé, mais ces feux font beaucoup de blessés. Je dis souvent aux sapeurs-pompiers que je forme : “attention, votre première erreur sera la dernière”. Je leur rappelle aussi que le risque zéro n’existe pas. Lorsqu’on est sapeur-pompier, on n’est pas des victimes mais des acteurs ; on a choisi d’être là. Cela implique d’accepter les risques, mais cela veut dire aussi de prendre toutes les précautions pour les minimiser lors des interventions sur le terrain. »

Le colonel Bénédittini explique ensuite l’intérêt qu’il y a à former des binômes réunissant un sapeur-pompier jeune et un ancien : « Quand on est jeune, on se pense invincible, or il faut avoir un peu peur du danger dans nos missions. » Si l’expérience est un plus, ce n’est toutefois pas une garantie. « J’ai connu des pilotes de Canadair qui avaient servi dans la Patrouille de France, mais cela ne les a malheureusement pas empêchés de périr en combattant un sinistre. »

Des équipements spécifiques

Le lieutenant-colonel Nicolas Faure est chef de pôle Performance et Information au Sdis 13, qui s’est récemment équipé d’une nouvelle tenue feux de forêt. Les sapeurs-pompiers des Bouches-du-Rhône n’avaient jusqu’à récemment qu’un casque F2. Depuis peu, ils ont aussi, outre leur tenue pour les feux urbains, un surpantalon spécifique. « Ce double équipement est un choix coûteux, mais cela nous permet d’offrir davantage de sécurité », se félicite Nicolas Faure. Lors de leurs opérations sur des feux de forêt, les sapeurs-pompiers embarquent dans des camion-citerne pouvant aller jusqu’à 13 000 litres d’eau, et, en cas de besoin, ils peuvent se recharger dans les cours d’eau, les piscines, ou utiliser les containers installés en prévision dans les zones non équipées de tuyaux de raccordement.

Et tous les intervenants savent qu’ils doivent se réfugier dans ces véhicules équipés d’air comprimé pour chasser les fumées, et d’air respirable pour y trouver refuge en cas de nécessité, le temps de laisser passer un front de feu. « Nous insistons là-dessus depuis que nous avons eu plusieurs accidents dramatiques. Pour mieux repérer les poignées de ces véhicules, même avec de la fumée, nous les avons peintes en blanc », précise Nicolas Faure.

Ces camions-citernes ont aussi comme fonction de protéger le 4 x 4 de commandement en cas de besoin. « La manœuvre consiste alors à encadrer le véhicule avec quatre véhicules citernes, de les mettre en position d’autoprotection, pour faire un brouillard d’eau qui doit permettre aux hommes dans le véhicule non protégé d’être sécurisés. »

S’il n’est pas possible de réaliser cette manœuvre, les passagers du véhicule de commandement doivent rejoindre un camion-citerne en utilisant leur masque de survie pour se déplacer. Tous les véhicules sont géolocalisés, ce qui permet donc de connaître leur positionnement exact et d’envoyer des secours ou des moyens aériens pour larguer au-dessus d’eux afin de les protéger. Des largages qui se font alors de haut. « C’est moins efficace, mais cela permet de limiter la pression qui pourrait les endommager », précise le lieutenant-colonel Faure pour qui la sécurité doit beaucoup à l’évolution du matériel.

Pour améliorer et accélérer la formation, le Sdis 13 a développé une plate-forme technique unique en Europe permettant de récréer les conditions de feux de forêt avec des arbres en métal dégageant du gaz. « Cela nous permet d’engager le personnel et de le faire participer à des manœuvres de sécurité suivant des scénarios très variés. L’objectif étant que tous nos sapeurs-pompiers puissent bénéficier de ces formations, et de simuler toutes les situations qui peuvent se présenter : passage d’un feu de végétation basse à végétation haute, saut de feu, mais aussi malaise, panne, maison à protéger… », énumère le lieutenant-colonel Faure.

Vigies postées dans les zones à risque

Et pour pouvoir intervenir le plus vite possible durant la période estivale, le Sdis 13 poste des vigies dans les zones à risque. Ces sentinelles donnent l’alerte pour 90 % des départs de feu. Et lorsque c’est le cas, une course contre la montre s’engage. « Plus on est rapide, plus on a de chances de limiter la propagation de l’incendie. Nous engageons les engins les plus proches, en mettant d’emblée les moyens maximums pour éviter que le feu ne prenne de l’importance. On préfère plutôt surdimensionner le dispositif engagé que prendre le risque de voir un incendie s’étendre. » L’année dernière, la méthode a permis d’éteindre 90 % des feux avant qu’ils ne dépassent l’hectare, mais le département a tout de même connu trois grands sinistres. « Parfois, le vent, les départs multiples ou l’interaction entre forêt et zones bâties font qu’il est plus difficile de lutter. Dès qu’il y a des habitations, leur protection devient prioritaire, et cette dispersion de moyens peut permettre au feu de poursuivre sa course. »

Côté commandement, lors d’un feu de forêt, tout va très vite ; il engage plus de monde qu’un feu urbain, parfois plusieurs centaines d’hommes. « Il faut gérer les interactions et les moyens entre le sol et l’aérien, savoir anticiper et évaluer, quantifier les besoins, être dans une dynamique action / réflexion qui n’est pas évidente, savoir demander des ressources, y compris extérieures au département si nécessaire. »

Les sapeurs-pompiers des départements voisins viennent volontiers prêter main forte, et les soldats du feu peuvent aussi compter sur les forces de l’ordre, les forestiers, ou encore les comités communaux feux de forêt.

Le rôle des citoyens

Pour améliorer la lutte contre les feux de forêt, le lieutenant-colonel Nicolas Faure plaide pour l’harmonisation des systèmes radio. « Aujourd’hui, nous disposons d’un système pour communiquer avec les avions et un autre pour parler aux hommes. N’en avoir qu’un seul simplifierait les choses. »

Un avion doté de caméras capables de transmettre des images sur l’évolution du feu est actuellement testé dans le département. Nicolas Faure espère voir ces outils d’information se généraliser. Mais au-delà de la technique, il rappelle que les citoyens ont aussi un rôle à jouer dans la prévention des incendies. « Il existe des gestes simples à effectuer pour limiter les risques et faciliter nos interventions, comme le débroussaillage, ou pour nous faciliter l’accès. Les gens du “cru”, qui ont déjà connu des feux de forêt, y sont sensibilisés. C’est moins le cas des touristes. »

Pour cet été, les sapeurs-pompiers estimaient qu’il était encore trop tôt pour évaluer le risque spécifique aux feux de forêt au moment de la rédaction de ce texte. « Il faut généralement laisser passer juin pour savoir comment les mois d’été vont se présenter. L’an passé, dès la fin du printemps, nous avions déjà eu nos premiers incendies. On ne sait pas encore à quoi s’attendre cette année, mais pour la sécurité de tous, on se prépare au pire », conclut Nicolas Faure.

Feux de forêts

Conseils de prévention des sapeurs-pompiers face aux feux de forêts

Lieutenant-colonel Nicolas Faure, chef de pôle Performance et Innovation au Sdis 13


« Il faut savoir évaluer quand reculer en intervention. »

Selon le lieutenant-colonel Nicolas Faure, du Sdis 13, la sécurité actuelle des sapeurs-pompiers en intervention doit beaucoup à l’évolution du matériel. « Nous disposons d’une panoplie de véhicules qui nous permet d’agir de plus loin que par le passé, notamment avec des canons à eau qui ont pour fonction de rabattre la puissance des flammes, avant que les hommes n’interviennent avec des tuyaux au sol. » Mais le progrès n’a pas que du bon. « À mes débuts, les anciens intervenaient sur des incendies quasiment en T-shirt, et nous disaient que lorsqu’ils sentaient la chaleur, il était temps de reculer. Les équipements d’aujourd’hui sont tellement performants que le risque est de sentir cette chaleur trop tard, et de se mettre en danger. Il faut savoir évaluer quand reculer. » Et pour cela, rien ne vaut l’expérience. D’où un paradoxe : « On devrait se féliciter d’avoir des années quasiment sans feu. Mais c’est finalement plutôt un handicap. L’an passé, nous savions qu’il fallait nous attendre à des d’incendies estivaux en raison de la sécheresse, et nous étions inquiets, car nous avions des sapeurs-pompiers qui n’étaient pas intervenus sur des feux importants depuis trois ans. Heureusement, cela s’est bien passé, puisque nous n’avons pas eu de décès, mais cette satisfaction n’est pas suffisante car nous avons eu à déplorer plusieurs blessés sérieux. »

Les fondamentaux de l’engagement en sécurité

Plusieurs accidents graves depuis moins d’un an lors de la lutte contre des feux de forêt, dont notamment celui survenu à Roquessel (34) le 10 août dernier, au cours duquel quatre sapeurs-pompiers ont été sévèrement brûlés, dont l’un est décédé, ont incité l’Inspection générale de la sécurité civile à renouveler ses recommandations par un message de « sécurité information ». Un rappel, dont ci-dessous les points essentiels, qui vise à limiter les accidents ou leurs conséquences et s’inscrit en complément des Guides nationaux de référence et, le cas échéant, de l’ordre d’opérations départemental feux de forêt.

  • L’engagement des moyens doit être proportionné aux enjeux et aux conditions.
  • Les derniers engagements ont montré que des feux peuvent évoluer de façon inhabituelle ; il faut se préparer à être surpris.
  • Les sentiments de sécurité et de maîtrise de la situation ne doivent pas faire baisser la vigilance des cadres et des équipages.
  • Privilégier, dans la mesure du possible, l’engagement de personnels expérimentés sur les points exposés.
  • Insister en formation sur l’efficacité des équipements de protection individuels et des dispositifs de protection des CCF, même en cas de passage du feu sur le véhicule.
  • Veiller à la bonne utilisation du réseau radio (fonctionnement, veille, respect des procédures…).
  • Déterminer les itinéraires ou les zones de repli et y effectuer une reconnaissance.
  • Établir les modalités d’engagement et les missions du soutien sanitaire opérationnel.

 

Texte : Valérie Chrzavzez

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