Où s’applique la gratuité des secours en montagne ?

Opérationnel - Le 06 juin 2017

[MAGAZINE] Sur piste, hors-piste, secours gratuits ou payants… la loi dite « Montagne 2 » du 28 décembre 2016 introduit des nouveautés sur un sujet ancien et toujours d’actualité : la facturation des secours. La France, deuxième destination mondiale pour le ski, synonyme de liberté, de plaisir et de sensations grisantes, compte, chaque année et en toute saison, 45 000 interventions des services de secours.

Où s’applique la gratuité des secours en montagne ?

Magazine sapeurs-pompiers de France, n°1101 – Juin 2017

Un accident en montagne est rarement anodin. Se fouler un genou en randonnée à plus de 1 800 mètres d’altitude ou se retrouver bloqué dans une avalanche sont des situations qui, bien que n’engendrant pas les mêmes traumatismes, nécessitent des moyens importants : secouristes, ambulances ou parfois hélicoptères. S’agissant des avalanches, il est estimé que les secours doivent intervenir dans les 15 minutes (rapidité, coordination). Après ce délai, les secouristes considèrent que la personne prise dans une avalanche voit ses chances de survie s’amenuiser très vite.

Dans la loi n° 2016-1888 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne du 28 décembre 2016, c’est l’article 21 qui traite de la question des secours en montagne, mais uniquement le secours sur pistes de ski et dans certains secteurs hors-pistes. Il a été adopté à l’initiative de l’Association nationale des maires des stations de montagne (ANMSM) et d’un amendement déposé par Charles- Ange Ginesy, député-maire de Péone-Valberg (Alpes-Maritimes).

Après l’article 96 de la loi 85-30 du 9 janvier 1985, il est introduit un nouvel article 96 bis : « Dans le cadre de ses pouvoirs de police administrative définis aux articles L.2212-1 et L.2212-2 du code général des collectivités territoriales, le maire peut confier à un opérateur public ou privé, exploitant de remontées mécaniques ou de pistes de ski, ou gestionnaire de site nordique, des missions de sécurité sur pistes de ski, sous réserve que cet opérateur dispose des moyens matériels adaptés et des personnels qualifiés. Il peut lui confier, dans les mêmes conditions, la distribution des secours aux personnes sur les pistes de ski, le cas échéant étendue aux secteurs hors-pistes accessibles par remontées mécaniques et revenant gravitairement sur le domaine skiable ».

Rôle reconnu pour le service des pistes

Tout d’abord, par cet article, c’est le rôle du service des secours sur les pistes qui est enfin reconnu et consacré. L’organisation de la sécurité et des secours en station est précisée à droit constant, c’est-à-dire qu’elle est toujours placée sous l’autorité du maire qui prend des arrêtés municipaux relatifs à la sécurité des pistes. Le texte conforte aussi la possibilité de confier à l’exploitant des remontées mécaniques ou de pistes de ski la mise en œuvre des arrêtés. On peut rappeler que les pisteurs-secouristes permettent de profiter des meilleures conditions de sécurité possible aux usagers : missions d’accueil et d’information, prévention des risques, assistance aux personnes blessées ou en difficulté, balisage, conditions d’accès aux pistes, fermeture des pistes en cas de danger… Ensuite, véritable nouveauté, la « loi montagne 2 » permet désormais aux services de secours sur piste d’intervenir sur tout itinéraire hors-pistes accessible depuis les remontées mécaniques. Cette évolution législative a une influence tant sur les lieux que sur les conditions d’application du principe de gratuité des secours. Chacun le sait, l’intervention des secours, en quelque endroit qu’elle se situe, a un coût. La détermination de ce coût et la manière de le répercuter ou non sur la victime varient selon les secteurs d’intervention.

On assiste même au développement de cette différenciation de la facturation des secours selon les lieux d’intervention, phénomène que la loi Montagne 2 accentue. Qui paye donc les frais hors du domaine skiable, sur le hors-pistes de proximité, dans le domaine skiable, lors des épreuves sportives en montagne, en hors-pistes accessibles par remontées mécaniques et revenant de façon gravitaire sur le domaine skiable, sur les pistes de fait (itinéraire emprunté par les skieurs entre les pistes, ndlr) ? La nouvelle loi précise les conditions de mise en oeuvre du principe de gratuité. Elle développe en la matière la spécificité du secours en montagne par rapport à d’autres domaines d’intervention. Dans un premier temps, nous allons évoquer les lieux où la gratuité des secours demeure et dans un second temps, ceux où la facturation tend à se développer.

Repère historique

Le principe général de gratuité des secours – dogme depuis le XVIIIe siècle – est un principe de droit administratif trouvant son origine dans l’ordonnance royale de Louis XV du 11 mars 1733, dont le but était d’éviter que les victimes d’incendie renoncent à faire appel aux secours, au risque de voir l’incendie se propager. Juridiquement, il s’explique par le fait que l’intervention des secours se rattache aux responsabilités dont sont investies les autorités de police administrative dans le but de préserver l’ordre et la sécurité publics.

Les lieux où la gratuité demeure

Le principe de gratuité des secours en montagne reste important mais il tend à se réduire. En pratique, il ne s’applique bien souvent plus qu’à des situations faisant intervenir les moyens de l’État. Il s’agit d’un principe ancien qui reste néanmoins relatif. Le secours en montagne en France hors du domaine skiable et sur le hors-piste de proximité est gratuit pour la victime. Par exemple, les secours mobilisés à la suite d’un accident dont une personne a été victime hors du domaine skiable restent à la charge de l’État. Si les services de l’État sont amenés à intervenir sur un domaine skiable, ce secours peut ne pas faire l’objet d’une demande de remboursement en fonction de la gravité de l’accident.

Or, si le secours est gratuit pour la victime, il ne l’est pas pour la société puisque le coût global des interventions (ressources humaines, équipements…) est pris en charge par la collectivité dans son ensemble au moyen de l’impôt. La gratuité est donc assurée lorsque les missions sont effectuées par les services de secours publics. Les opérations de sauvetage sont avant tout menées par trois services : sapeurs-pompiers (GMSP) ; Compagnies républicaines de sécurité (CRS montagne) ; gendarmes de haute montagne (PGHM), selon les dispositions spécifiques Orsec Montagne. Mais cette notion de « hors-piste » est interprétable.

Les lieux où la facturation tend à se développer

Responsables de l’organisation des secours sur leur territoire, les communes font parfois appel à des moyens dont le coût peut être répercuté sur la victime. L’article 96 bis de la loi du 9 janvier 1985 énonce désormais clairement que le maire peut confier à un opérateur public ou privé, exploitant de remontées mécaniques ou de pistes de ski, ou gestionnaires de sites nordiques, des missions de sécurité sur pistes de ski sous réserve que cet opérateur dispose des moyens matériels adaptés et des personnels qualifiés. Il s’agit alors de savoir s’il est possible de facturer les frais de secours engendrés par l’intervention de l’opérateur public ou privé et surtout dans quels secteurs la facturation est possible.

Progressivement, des exceptions à la gratuité des secours sont apparues. La loi Montagne du 9 janvier 1985 avait prévu la possibilité aux communes d’exiger le remboursement des frais consécutifs à la pratique d’activités sportives, dont la liste est établie par décret en Conseil d’État (anc. art. 97 de la loi de 1985). Le décret n° 87-141 du 3 mars 1987 a ensuite indiqué que seul le ski alpin et le ski de fond pouvaient faire l’objet du remboursement des frais de secours (aujourd’hui art. R 2321-6 du CGCT). Par la suite, l’article 54 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a précisé que les recettes non fiscales de la section de fonctionnement des communes peuvent comprendre « le remboursement des frais engagés à l’occasion d’opérations de secours consécutives à la pratique de toute activité sportive ou de loisirs. Cette participation, que les communes peuvent exiger sans préjudice des dispositions applicables aux activités réglementées, aux intéressés ou à leurs ayants droit, peut porter sur tout ou partie des dépenses et s’effectue dans les conditions déterminées par les communes » (15° de l’article L.2331-4 du CGCT).

Les communes prévoyant par exemple un dispositif de secours faisant appel à des organismes privés peuvent donc exiger le remboursement des frais. Lorsqu’il est demandé, il appartient aux communes d’en déterminer les conditions par une délibération du conseil municipal. Elles sont tenues d’informer le public sur les conditions de remboursement par une publicité en mairie et sur les lieux où se pratiquent les activités sportives : ski de piste et ski de fond (R. 2321-7 du CGCT). Les tarifs sont libres mais, en moyenne, on peut observer les barèmes suivants : 140 euros pour le secours de proximité ; de 450 euros à 750 euros pour le secours éloigné. En cas d’accident sur le domaine skiable ou lors des épreuves sportives en montagne, mieux vaut être bien assuré…

Les espaces concernés

La loi Montagne 2 tend à son tour à développer la possibilité pour les communes de facturer les secours dans de nouveaux secteurs qui s’ajoutent aux cas déjà possibles. Le cas préexistant est celui de l’intervention dans le domaine skiable ou lors d’épreuves sportives. Ainsi que le précise l’article 96 bis de la loi de 1985, le maire peut confier à un opérateur privé ou public la distribution des secours aux personnes sur les pistes de ski. Cette disposition entérine le fait que le secours en montagne en France peut être payant sur les pistes balisées du domaine skiable. En pratique, il l’est généralement. Il peut aussi être payant à l’occasion de l’organisation d’épreuves sportives en montagne sous convention. Il revient au maire de définir concrètement le domaine des pistes balisées de sa station, par arrêté municipal. La piste de ski alpin et le domaine skiable sont définis par l’article R.122-8 du Code de l’urbanisme (il concerne en réalité le droit applicable aux unités touristiques nouvelles).

Par exemple, le domaine skiable est défini par « piste de ski alpin ou ensemble de pistes qui ont le même point de départ qui communiquent entre elles ou qui communiquent par le seul intermédiaire d’une ou de plusieurs remontées mécaniques. La surface du domaine skiable prise en compte est la somme des surfaces des pistes de ski alpin. Un domaine skiable peut s’étendre sur le territoire de plusieurs communes. Une commune peut comporter plusieurs domaines skiables ». L’opérateur chargé des secours a désormais la possibilité d’intervenir sur les secteurs « hors-pistes accessibles par remontées mécaniques et revenant gravitairement sur le domaine skiable ». Ainsi, il peut exiger des intéressés (ou de leurs ayants droit), un secours payant dans ces espaces.

La difficulté est de qualifier de tels espaces car la notion de secteur « hors-pistes » est imprécise. Elle est interprétable, ce qui peut avoir une influence sur le principe de gratuité des secours. Par exemple, « hors-pistes de proximité » et « hors-pistes accessibles par remontées mécaniques et revenant sur le domaine skiable », sont deux espaces qui peuvent se chevaucher. Ce n’est pas neutre sur l’aspect financier, s’il s’agit d’un secours en montagne de longue durée avec plusieurs secouristes et plusieurs moyens héliportés : facturation ou gratuité ? Ce n’est pas neutre non plus quant à la coordination et la gestion de l’opération de secours : responsabilité de l’opérateur privé à qui la commune a confié la distribution des secours, ou responsabilité des services de secours de l’État ?

Propositions attendues par les professionnels du secours

Tous les jours, les secours aux personnes sont réalisés dans le seul but de réduire au maximum le temps d’accès et les conséquences sur la victime. Rappelons que, dans les faits, les secteurs d’intervention sont bien souvent connus par les opérateurs locaux et par les services de secours publics. Les accords historiques ou verbaux sont intégrés par les différents acteurs publics ou privés pour intervenir en lieu et place. Il conviendrait de poser un cadre juridique d’intervention plus solide que les ententes ou accords locaux.

Compte tenu des marges d’interprétation de la notion de « hors-piste », la première proposition serait d’établir une cartographie d’intervention des secours pour identifier les espaces d’intervention de l’opérateur privé, à qui l’on aurait confié la distribution des secours, et les espaces d’intervention du service public. De plus, il serait louable qu’un texte national définisse les différents termes utilisés par la loi pour lever toute ambiguïté sur les différents espaces d’intervention des secours publics et privés.


Texte : Capitaine Bruno Magne, doctorant en droit public, université Savoie-Mont-Blanc (Chambéry)

Droit pratique : Où s'applique la gratuité des secours en montagne

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