Bain de risques en baie de Somme

Opérationnel - Le 09 octobre 2019

[MAGAZINE] Cette enclave de la mer de 7 km sur 10 dans le département de la Somme forme, selon la marée, un vaste plan d’eau ou une étendue sauvage à perte de vue. Un trésor de la nature, propice à la sérénité mais capable de se montrer hostile. Un bassin de risques au sens propre...

Un territoire touristique dont la population peut être multipliée par 10 en période d'affluence.
Un territoire touristique dont la population peut être multipliée par 10 en période d'affluence.
Trous, vase, sables mouvants... la baie forme un terrain hostile.
Trous, vase, sables mouvants... la baie forme un terrain hostile.
Baie de Somme SDIS 80
Baie de Somme - mer

Pour découvrir la Baie de Somme et s’en imprégner, rien de plus efficace que de se rapprocher du Sdis 80 et des sapeurs-pompiers qui l’entourent, à Saint-Valéry-sur-Somme, Le Crotoy et Cayeux-sur-Mer. Lorsque les bips sonnent à Saint-Valéry-sur-Somme et affichent « personne blessée, trauma de la cheville », il pourrait s’agir d’une intervention comme les autres, dans le flot des 13.000 de la journée en France. Mais l’adresse change tout : « dans la baie, à environ 1 km du phare du bout de la jetée du port ».

Au départ, un VSAV (véhicule de secours et d'assistance aux victimes) mais aussi deux curieux engins acheminés sur remorque tractée par les VLHR (véhicules de liaison hors-route) de Saint-Valéry et du Crotoy. Ils auraient pu inspirer James Bond ou Hergé pour Objectif Lune : des amphibies. Ces véhicules tout-terrain sur huit roues ou chenilles sont la solution déployée par le Sdis 80 pour progresser vers la victime et l’acheminer jusqu’au VSAV en limite de chemin carrossable. Mais le premier accessoire indispensable sont les jumelles pour la localiser. Les « SAV » (sauveteurs aquatiques) s’engagent aux commandes des « amphib ». Tantôt roulant tantôt flottant, ils franchissent des pentes jusqu’à 45 degrés.

Apprendre à « lire » la baie

Face à un dédale de trous, d’obstacles végétaux divers et de zones que la marée basse à laissées submergées, « l’amphib » doit stopper. L’équipier s’engage à pied pour évaluer l’itinéraire avec parfois de l’eau jusqu’au cou. Le trajet le plus rapide ne sera pas forcément le plus court. Et il faut anticiper le retour avec les contraintes du brancardage. « Avec l’expérience, on apprend à lire la baie », explique le SAV.

Sur place, une femme de 47 ans présente une fracture de la cheville avec un net déplacement. La douleur est intense. La perfusion de Perfalgan et la dose de morphine en inhalation administrées par l’infirmier font leur effet. Le brancardage en barquette commence. Tant mieux car mieux vaut ne pas s’éterniser quand on sait que la mer monte à la vitesse d’un cheval au galop... et que par vent d’ouest comme aujourd’hui elle peut avoir une heure d’avance sur le calendrier des marées.

Direction « l’amphib » qui a dû stopper sa progression à 300 mètres et qui fera le relais jusqu’au VSAV. L’opération aura pris près de deux heures. « Mission accomplie. Tous les sapeurs-pompiers ont été employés dans leur rôle et en sécurité », conclut Philippe, le chef de groupe.

Débriefing et rappels

Un avis que partage Sébastien, le conseiller technique départemental SAV. Au débriefing, carte à l’appui, il insiste sur la nécessité d’engager de préférence des SAV. « La tenue Néoprène et les chaussons sont une meilleure sécurité pour circuler dans la baie, même à marée basse. L’eau, la vase, les trous forment un piège redoutable en rangers et en tenue F1. »

Autre règle, il rappelle que la baie a été scindée en deux secteurs. Le plus proche de la terre est de compétence Codis (centre opérationnel départemental d’incendie et de secours), le plus proche de la mer est de compétence Cross (Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage, qui coordonne les secours en mer).

« Seb » ne manque pas non plus de rappeler que les quelque 200 huttes de chasseurs de la baie ont été numérotées et cartographiées pour faciliter la localisation des appelants et orienter les secours, en plus des fusées de détresse dont les guides touristiques qui accompagnent les groupes ont été dotés.

La tenue Néoprène et les chaussons sont une meilleure sécurité pour circuler dans la baie, même à marée basse. L'eau, la vase, les trous forment un piège redoutable en rangers et en tenue F1.

Face à des délais incompressibles d'acheminement des secours et de transport à l'hôpital, la vitesse d'extraction des victimes
Face à des délais incompressibles d'acheminement des secours et de transport à l'hôpital, la vitesse d'extraction des victimes est la variable déterminante.

Trucs de désincar’

Une intervention qui ne laisse pas abandonner le quotidien. Le jeudi soir, à « Saint-Val’ », c’est manœuvre. Aujourd’hui, secours routier. Objectif : la prise en main du FPTSR (fourgon pompe-tonne secours routier), nouveau venu dans la remise. Dans la zone industrielle, la Laguna encastrée dans une benne à ordures s’apprête à vivre ses dernières minutes. La manœuvre « conforme » achevée, Romuald, un adjudant membre de l’équipe départementale qui concourt et organisera le « Challenge national de secours routier » en 2020 à Amiens, partage quelques « trucs pas dans les manuels ».

Précis et concrets, les exemples s’enchaînent : « Les poignées de portes se bloquent en position ouverte avec une cale ou une petite balle en plastique, cela évite de travailler en arrachement avec l’écarteur. La sangle à cliquet peut faire gagner quelques centimètres suffisants pour relever une colonne de direction. Elle permet aussi de dégager un véhicule encastré en la plaçant verticalement pour rétracter les amortisseurs et en dégonflant les pneus, et en prévenant les gendarmes ! Pour la découpe du pavillon et gagner du temps, une découpe partielle suffit souvent à créer une issue. C’est en ce sens que le secours routier évolue, et tant pis pour les frustrés de la cisaille », conclut l’intervenant. « Passionnant et passionné », commente un sapeur-pompier alors que la nuit tombe.

Combat permanent

Pour les trois casernes, 100 % volontaires, qui ceinturent la baie, recrutement et disponibilité restent le nerf de la guerre. Parmi la ressource, il y a bien sûr beaucoup d’employés communaux, sous convention de disponibilité et selon la volonté de chaque maire.

Pour le commandant Vincent Jourdain, président de l’UDSP (union départementale des sapeurs-pompiers), « le recrutement reste un combat perpétuel ». Principal vivier ? Les JSP (jeunes sapeurs-pompiers). « Le département en totalise 500 et deux des trois CIS (centres d'incendie et de secours) de la Baie animent des sections. »

Une autre recette ? Les couples. « Nous avons recruté sept femmes – un quart de l’effectif – et les conjoints les ont suivies », annonce Guillaume, lieutenant-chef de centre au Crotoy. Même engouement à Cayeux-sur-Mer : sur 31 SPV (sapeurs-pompiers volontaires), huit femmes sont à l’effectif. Pour preuve, Sébastien, adjoint au chef de centre, lieutenant et chef de groupe frais émoulu de l’École nationale, nous présente Dorine, adjudante de 48 ans. « Je suis fille et mère de SPV ! », précise-t-elle, comme pour rappeler la démonstration de ce que le volontariat doit aux histoires de famille.

Yves, lieutenant et chef de centre, peut être serein pour l’avenir en s’apprêtant à passer le flambeau avec 41 ans de souvenirs. Sur ce point, les sapeurs-pompiers du littoral picard n’hésitent pas à provoquer l’étonnement... en confiant par exemple que leurs ancêtres s’élançaient en embarcation pour des secours en mer sans savoir nager ou comment une camionnette de gendarmerie achetée d’occasion par une amicale avait été repeinte à la bombe en rouge Massey-Ferguson pour servir d’ambulance... Des histoires qui contrastent avec la technicité d’aujourd’hui... et qui valent bien aussi un tour de la Baie de Somme.

Texte : Dominique VERLET
Photos : Stéphane GAUTIER


Vidéo : les amphibies de la baie de Somme


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