Discours du président de la Fédération, Eric Faure, le 24 septembre 2016

Allocution du colonel Eric Faure, président de la FNSPF, à l’occasion de la venue de Monsieur François Hollande, président de la République, au 123e congrès national des sapeurs-pompiers.
Tours - Samedi 24 septembre 2016.

Discours prononcé

Monsieur le Président de la République,
Madame, Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis sapeurs-pompiers, personnels des SDIS et de la Sécurité civile,

Tout d’abord, merci aux pompiers d’Indre-et-Loire et à tous les Tourangeaux pour ce superbe congrès.

Dans le contexte que nous connaissons, merci, sous votre autorité Monsieur le Préfet, à l’ensemble des personnels qui ont permis à notre rendez-vous de se dérouler dans les meilleures conditions de sécurité.

Pour la seconde fois, merci Monsieur le Président de votre présence parmi nous.

En 2013, vous aviez exprimé la volonté de renforcer notre modèle de secours :

  • son maillage territorial ;
  • la complémentarité entre sapeurs-pompiers professionnels et volontaires ;
  • la compétence partagée entre l’Etat et les collectivités territoriales.

Voici venue l’occasion d’en dresser le bilan, mais aussi de le mettre en perspective avec les évolutions de notre monde. Les crises successives qui frappent notre pays le démontrent : nous avons changé d’époque. Plus rien ne sera comme avant.

 

***

Tout d’abord, je veux saluer l’action accomplie depuis 2013.

Avec Bernard CAZENEUVE, nous avons agi pour renforcer les 247 000 sapeurs-pompiers.

Nous nous sommes engagés à Chambéry (Etat, départements de France, maires de France et notre Fédération) pour les sapeurs-pompiers volontaires : 80% de nos effectifs.

Des campagnes de communication incitent à l’engagement.

Notre capacité de recrutement reste un enjeu.

Vers la jeunesse, à travers le soutien aux jeunes sapeurs-pompiers, le partenariat entre les ministères de l’Intérieur et de l’Education nationale, ou prochainement le service civique adapté à nos missions.

Vers les femmes aussi, qui ne représentent encore que 17% de nos effectifs.

D’autres initiatives ont été prises pour adapter la formation aux besoins des volontaires, faciliter leur accès au logement social à proximité des casernes, ou généraliser leur présence dans les équipes dirigeantes des SDIS.

De tout cela, nous en avons fait le bilan jeudi en présence de Bernard CAZENEUVE.

Le volontariat, c’est aussi la Prestation de Fidélisation et de Reconnaissance (la PFR).
Un accord unanime a été scellé pour la réformer au 1er janvier 2016.
Notre Fédération a su faire preuve de responsabilité.
Monsieur le Président, nous demandons que cette date soit tenue et que le bout de Loi nécessaire soit très vite examiné par le Parlement.

Simultanément, nous avons modernisé le statut des sapeurs-pompiers professionnels, avec la correction en janvier dernier des difficultés apparues lors de la réforme de la filière de 2012.
D’autres textes, publiés récemment, revalorisent la carrière des membres de notre service de santé et de secours médical.
Enfin, c’était un engagement : notre coeur bat désormais plus fort chaque 14 juillet, avec notre participation au défilé sur les Champs Elysées.

La coopération des acteurs du secours a aussi été confortée.

Particulièrement dans le domaine du secours d’urgence aux personnes.
Grâce à l’évaluation que vous aviez demandée, la circulaire des ministres de l’Intérieur et de la Santé de juin 2015 renforce la coordination avec nos partenaires du SAMU.

Les recommandations nationales sur les protocoles infirmiers de soins d’urgence et sur la création d’arbres décisionnels pour la gestion de l’alerte illustrent l’esprit positif de nos relations…
Il reste toutefois à finaliser la convention facilitant l’engagement comme sapeur-pompier volontaire des personnels hospitaliers.

A votre demande, une politique interministérielle de gestion des hélicoptères a été amorcée.
Elle doit déboucher sur une véritable coopération et complémentarité des moyens.

Face au terrorisme, les retours d’expérience nous permettent d’adapter notre doctrine opérationnelle et de mieux nous coordonner avec les forces de l’ordre et les acteurs hospitaliers.
Hier encore, nous y avons travaillé avec des représentants du RAID et du GIGN.

Enfin, quel honneur que le Premier ministre ait désigné, comme Grande cause nationale 2016, le projet Adoptons les comportements qui sauvent, que nous portons avec la Croix-Rouge et la Protection civile.
Je vous demande, Monsieur le Président, tout votre appui pour que notre message soit entendu du plus grand nombre.

 

***

Ce bilan aurait pu être meilleur si des chantiers ne restaient inachevés.

Tout d’abord, en matière de formation pour les volontaires.
Depuis longtemps, ils bénéficient de la formation professionnelle pour les formations liées à leur engagement.
Mais la mise en oeuvre en 2014 du compte personnel de formation, les en empêche pour l’instant.
Trois ans de perdus.

Autre dossier : l’encadrement supérieur.
L’aboutissement prochain du cadre statutaire A+ permettra aux officiers supérieurs d’obtenir un déroulement de carrière conforme aux fonctions tenues, comme tous les fonctionnaires exerçant des responsabilités similaires.

Sur le second volet de cette réforme, concernant l’intégration des sapeurs-pompiers dans les services de l’Etat, des réponses sont encore attendues.
Si, dès la publication du décret A+, des passerelles seront ouvertes, elles restent peu lisibles.

Alors que c’est maintenant que l’organisation de la DGSCGC évolue et offre des postes de cadre supérieur correspondant aux compétences des sapeurs-pompiers.
Je demande qu’ils puissent en bénéficier.
Et qu’à l’instar de nos collègues en uniforme (militaires, policiers ou gendarmes), il nous soit demandé d’apporter nos compétences métier, et non de troquer notre habit de sapeur-pompier pour un autre costume.

Pour l’inspection générale de l’administration, une solution a bien été proposée, mais elle est en-deçà de ce qui existe pour les autres forces opérationnelles de l’Intérieur, la police, la gendarmerie.

Enfin, la passerelle entre le statut de sapeur-pompier et ces postes de haut-fonctionnaire reste à résoudre.

En finalité, notre question reste toujours la même : sommes-nous les bienvenus sur ces postes à l’Etat ?

Troisième dossier : la reconnaissance de la Nation à ses sapeurs-pompiers, à travers les décorations.
A Chambéry, vous aviez annoncé le doublement des nominations dans les ordres nationaux.
L’objectif est atteint pour la Légion d’honneur. Et bientôt, je l’espère, pour l’Ordre national du Mérite.
Un immense regret toutefois : parmi ces médaillés, la proportion des volontaires reste trop faible, beaucoup trop faible.

Enfin, vous aviez pris l’engagement de sanctuariser notre maillage territorial.

Pourtant, les fermetures de casernes se poursuivent. Plus de 250 depuis 2013, qui s’ajoutent aux 600 enregistrées entre 2006 et 2012.

Pour de prétendues économies budgétaires, c’est un véritable plan social imposé aux sapeurspompiers volontaires, sommés
soit de rompre leur engagement citoyen,
soit de prendre des gardes postées dans la ville voisine,
soit de créer une réserve communale de sécurité civile.

Nous ne cesserons de le dire : à chaque fermeture, c’est un service public et la vie locale qui s’étiolent.
C’est la citoyenneté qui recule alors que l’on cherche partout ailleurs à la conforter.
C’est notre capacité de réponse opérationnelle qui s’affaiblit à rebours des besoins de la Nation.

Moins de centres, c’est moins de volontaires.
Comment voulez-vous réussir à atteindre l’effectif de 200 000 en 2017 ?

 

***

Ce bilan aurait-il pu être meilleur ?

Oui, sans doute, si les mêmes difficultés institutionnelles n’étaient pas toujours présentes.

Quand nous sollicitons l’Etat, celui-ci nous renvoie trop souvent vers les collectivités territoriales.
Quand nous interpellons les départements, ils nous répondent que l’Etat les étrangle financièrement !
Quant aux communes, elles nous disent que les pompiers sont désormais départementaux !
Je n’évoque même pas les intercommunalités, dont la dynamique nous ignore.

D’un côté, l’Etat, qui a toujours du mal à donner le « la ».

Par exemple, dès l’appel des secours. Chaque année, il crée un nouveau numéro, alors que cette fois, loin de complexifier les choses, l’Europe nous propose la simplicité avec le 112.
En France, pour le citoyen en détresse, le choix du bon numéro s’apparente au remplissage d’une grille de loto.

Autre difficulté, fâcheuse. Face à la menace terroriste, la DGSCGC a défini une doctrine d’action commune avec le RAID et le GIGN, pour prendre en charge les blessés, alors même que les terroristes ne sont pas neutralisés.
Cela suppose de sécuriser quelques sapeurs-pompiers avec des équipements antibalistiques.
A ce jour, nombre de SDIS refuse d’acquérir ces matériels.

Qui va leur dire qu’ils mettent ainsi en danger leurs sapeurs-pompiers !

De l’autre côté, dans les territoires, 20 ans de départementalisation ont permis une évolution formidable des corps départementaux.

Mais avec la contrainte financière qui pèse sur les départements, là aussi, plus rien ne sera comme avant.
Chacun le sait, et pourtant on continue de faire comme si de rien n’était.

Il est toujours plus long pour les sapeurs-pompiers de faire 5 kilomètres pour intervenir dans un département voisin que pour faire 20 kilomètres dans leur propre département. Le trait sur la carte Michelin reste une frontière pour le secours.

De même, l’approche globale pour la gestion des risques spécifiques demeure faible.
Un SDIS peut ainsi décider seul, sous la pression budgétaire, de supprimer son équipe de sauveteurs aquatiques, comptant sur celle du SDIS voisin… qui va peut-être d’ailleurs prendre la même décision. C’est la noyade assurée.
Contre les feux de forêts, la solidarité nationale fonctionne, mais demeure fragile et fondée sur la bonne volonté. Cette année, certains SDIS n’ont pas pu contribuer aux colonnes de renfort, non pas faute de volonté, mais parce que les personnels ne sont plus formés.

Au-delà des sapeurs-pompiers, le désengagement d’autres services publics ou privés impacte notre activité.

Certes, nous comprenons le recentrage des policiers et gendarmes sur leurs missions d’ordre public.
Leur participation, à nos côtés, aux commissions de sécurité est désormais allégée.
Mais quand ils nous laissent seuls pour des lieux potentiellement sensibles en matière de sécurité publique, alors qu’ils restent présents pour les refuges de montagne, bien connus pour être des repaires terroristes… Il est permis de s’interroger !

Que dire enfin de ce vieux débat sur le financement.
Le fameux : qui paye commande !
La difficulté, c’est que tout le monde veut commander, parce que tout le monde paye !

Ce n’est pas le manque d’argent qui est en cause mais la dilution des crédits, qui nuit à la cohérence de l’action publique.
En 1996, la départementalisation visait à stopper l’inégalité entre les communes riches et pauvres.
20 ans après, peut-on accepter de voir le coût par habitant varier de un à deux, voire plus, pour des SDIS similaires, au risque d’un secours rendu hétérogène entre un département riche ou pauvre ?

Dans ces conditions, combien de temps pourra-t-on maintenir notre niveau de performance opérationnelle ?

Ces interrogations interviennent alors que les sapeurs-pompiers sont exposés aux multiples défis de notre temps.

Défis sociaux : précarité, vieillesse, isolement.
Economiques : avec l’impératif de discipline budgétaire.
Politiques : conséquences du réchauffement climatique, crises sanitaires, menaces terroristes.

Des défis qui font de la sécurité la principale préoccupation des Français.

 

***

A l’approche des élections de 2017, le rôle des décideurs politiques est de tracer des voies pour l’avenir.
Monsieur le Président, les sapeurs-pompiers de France n’attendent pas une nouvelle célébration verbale de leur courage et de leur dévouement.

Ce qu’ils veulent, c’est l’expression d’une ambition pour la protection des Français, c’est partager une vision de leur place dans la sécurité nationale.

A la suite de l’attentat de Nice, vous avez décidé le développement des réserves opérationnelles et la création de la Garde nationale.

Chez les sapeurs-pompiers, cette richesse humaine existe depuis toujours !
Elle s’incarne dans les 194 000 volontaires, capables de répondre aux secours quotidiens et de se mobiliser en masse en cas de crise.
Tout comme d’ailleurs les professionnels et les agents des SDIS.
Les feux de l’été, comme les inondations des dernières années l’ont toujours démontré.

C’est bien là le socle d’une réserve opérationnelle de la sécurité civile.

Monsieur le Président,

Les sapeurs-pompiers ont-ils raison de penser qu’ils appartiennent par nature à la Garde nationale et à la réserve opérationnelle ?

Qu’ils sont véritablement l’une des trois forces de sécurité intérieure au service des Français ?

Le ministre de l’Intérieur Bernard CAZENEUVE, et je veux lui rendre hommage, n’a jamais varié dans ses intentions.

Mais comment espérer être pris en compte, quand on est absent des sphères décisionnelles du ministère, quasiment jamais impliqués dans les dossiers de planification opérationnelle, et qu’il est presque impossible de conduire des évolutions nationales pour tous les SDIS, ni de corriger les inégalités financières entre eux ?

Il a fallu une circulaire pour que les préfets associent les sapeurs-pompiers à leurs réunions de sécurité.
Alors que de la sécurité, nous en faisons tous les jours !

Mais ce n’est pas par voie de circulaire que l’équilibre de gouvernance sera obtenu entre tous les acteurs.

Le temps des « mesurettes » est dépassé.

L’Etat doit être ambitieux.

Deux actions sont urgentes :

Tout d’abord, l’Etat doit contribuer directement au financement des SDIS.
Nul besoin de crédits supplémentaires, ils existent.

Un milliard d’euros est voté chaque année par le Parlement, pour les SDIS, et versé aux départements. Ce milliard doit abonder directement le budget des SDIS.
Le projet de Loi de finances 2017 est en discussion. C’est le moment.
Vous l’avez saisi, Monsieur le Président, en novembre 2015, quand il a fallu renforcer les moyens de la police, de la gendarmerie et du renseignement.

L’Etat doit aussi peser par le pilotage de projets structurants.
L’un est essentiel pour renforcer le pilotage des opérations de secours : un système de gestion opérationnelle commun pour tous les sapeurs-pompiers, pour les CTA, pour les CODIS, pour les COZ, pour le COGIC et enfin auprès de vous, Monsieur le Président, pour le centre interministériel de gestion de crises.

Monsieur le Président de la République, vous êtes le garant du fonctionnement régulier des pouvoirs publics et de la continuité de l'Etat.

Je me tourne vers vous car pour le secours et la protection des Français, un risque de dysfonctionnement existe. L’Etat ne peut rester passif dans ce domaine régalien.

Ce n’est pas le sens de la République d’avoir des secours à géométrie variable.

Notre ambition doit donc être de réussir une alchimie.
Celle de notre ancrage au coeur des territoires, si essentiel pour la population avec, pour l’équité du secours, une implication sans faille de l’Etat.

Pas un Etat touche-à-tout.

Mais un Etat stratège et régulateur.

 

***

Monsieur le Président,

Beaucoup s’interrogent pour savoir si vous serez ou non candidat à l’élection présidentielle.

Pour les sapeurs-pompiers de France, peu importe : aujourd’hui vous êtes le chef de l’Etat.

La nécessité de protéger la population et de lui porter secours ne se mettra entre parenthèse pour aucune campagne électorale.

Quelque soit le choix des Français le 7 mai prochain, les enjeux seront les mêmes et les chantiers engagés pour leur sécurité et leur protection devront être poursuivis.

A l’heure où les forces de l’ordre et les armées refondent leur organisation pour s’adapter aux nouveaux défis de sécurité, les sapeurs-pompiers, la sécurité civile ne peuvent rester à l’écart.

Il y a urgence.

Monsieur le Président,

Préservons ce qui fait nos racines, le socle de notre engagement et notre efficacité : notre proximité avec les territoires et la population.

Mais avec l’Etat, élevons le niveau de pilotage et de coordination de nos services, pour rendre pleinement cohérente notre action.

Mes chers collègues sapeurs-pompiers de France, nous faisons tout pour protéger la population et lui porter secours.

C’est justement pour cette population, pour la Nation, que nous devons pouvoir le faire dans les meilleures conditions.

C’est notre engagement, mais c’est surtout notre fierté !

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