Embarqués pour survivre

Opérationnel - Le 14 mars 2019

[Magazine] Ce n’est pas dans l’hélicoptère que je me suis embarqué, mais dans le stage de survie en montagne à destination des pilotes et des membres d’équipage de la Sécurité civile organisé par les sapeurs-pompiers du Centre national de formation au secours en milieux périlleux et en montagne de l’Ecole d'application de sécurité civile (ECASC), sur les hauteurs de la Grave, dans les Hautes-Alpes.

Embarqués pour survivre

Magazine n° 1120 - Mars 2019
Texte : Loïc Picard
Photos : Stéphane Gautier


Comment rester en vie en cas de crash ou de panne critique de la machine obligeant à se poser en urgence en pleine montagne, tout en se prenant en charge et en assurant si nécessaire les premiers secours à des membres de l’équipage ? Ce mercredi matin, c’est littéralement la tempête au col du Lautaret, sur les hauteurs de La Grave (Hautes-Alpes) où se déroule le stage.

La douzaine de stagiaires, venus des quatre coins de la France, y compris d’outre-mer, progressent en raquettes dans le blizzard haut-alpin. Avec le vent, la température ressentie descend en dessous des -30 °C… La neige, portée par les rafales, fouette nos visages, dont le moindre centimètre non protégé par un masque ou une écharpe devient rapidement douloureux. Nous sommes à 2 200 mètres d’altitude. Une chance finalement que nous n’ayons pas pu monter au sommet du mythique glacier de la Meije à cause de la météo car avec ce temps, je n’ose imaginer les conditions à 3 200 mètres… Cela dit, on ne peut pas le nier : la météo a le mérite de nous confronter à des conditions réelles, telles qu’elles pourraient être en cas d’accident sans pouvoir être rejoint par les secours.

Tous n’ont pas la même ancienneté ni les mêmes fonctions. Il y a des pilotes, bien sûr, mais aussi des mécaniciens opérateurs de bord (MOB), et même un chef de base. Ce stage fait partie du tronc commun de la formation initiale des équipages de la Sécurité civile. Il est ensuite réalisé plus ou moins fréquemment en fonction des bases d’affectation, au même titre que le stage « mer », au cours duquel les pilotes sont préparés à réagir en cas de crash ou d’incident en milieu aquatique.

Blizzard

La première journée est consacrée à la présentation et à l’apprentissage des différentes techniques de recherche, d’extraction et de prise en charge de victimes. Sous forme d’ateliers, les stagiaires reçoivent les bases de la recherche à l’aide du détecteur de victime d’avalanche (DVA), les gestes de premiers secours, la construction d’un abri dans la neige ou encore la gestion du froid.

Thématique de la seconde journée : la mise en pratique des connaissances. Autour des stagiaires, une petite dizaine d’encadrants, tous sapeurs-pompiers et spécialistes du secours en milieux périlleux ou en montagne, mais également un médecin sapeur-pompier. Une présence importante pour assurer une prise en charge médicale rapide d’un membre du groupe en cas de problème avéré, mais aussi pour assurer un complément d’information, par exemple sur le mécanisme de l’hypothermie et les réflexes à avoir pour s’en protéger. Durant près d’une heure, les hommes et femmes, qui d’habitude survolent les paysages, y avancent et mettent en œuvre ce qu’ils ont appris la veille, utilisant le matériel traditionnellement embarqué dans les hélicoptères : civière (ou « barquette ») et ses sangles, fond de sac des sapeurs-pompiers et personnels embarqués (cordages, couverture de survie, sacs de premiers secours, etc.).

L’isolation par la bulle

Contre toute attente, je découvre également un outil auquel je ne m’attendais pas, sorti du sac à dos d’un des secouristes embarqués : du papier bulle. Pourtant, cette fois, ce n’est pas du matériel qui y est emballé en vue de son expédition mais bien la victime, jouée par l’un des stagiaires. J’apprends l’utilité de cet outil surprenant, apparemment utilisé quotidiennement par les secouristes : la préservation de la chaleur ! Le papier bulle permet de créer un espace relativement isolant autour de la victime et qui, associé aux autres couches de protection (couverture de survie, vêtements, protection de la civière et du matelas coquille…), permet de préserver la chaleur du corps, tout en protégeant un minimum du froid.

«Des pieds à la tête, êtes-vous prêts ? Attention pour lever… levez !» Malgré la tempête, les stagiaires se coordonnent pour installer la victime dans la barquette, sous le regard avisé et observateur des formateurs. Une fois l’opération terminée, ils utilisent les sangles et cordages pour harnacher la civière avant de s’équiper et de se mettre en route en direction d’un village situé en contre-bas. Une vingtaine de minutes plus tard, la caravane terrestre arrive au hameau. L’exercice se termine. Tout le monde s’empresse de se déséquiper et de rentrer au chaud pour le débriefing.

Ce stage de deux jours est une formidable occasion d’appréhender un milieu dans lequel nous pouvons être amenés à évoluer, même si théoriquement, nous ne le pratiquons que depuis les airs.

Il nous permet aussi de mieux comprendre le travail des secouristes avec lesquels nous travaillons au quotidien. Entre ce que nous faisons là-haut et ce qu’eux font en bas, nous n’avons pas les mêmes contraintes.

Stéphane Jarrige

Ancien pilote de l’armée de terre, pilote d’hélicoptère de la Sécurité civile

Malgré quelques erreurs techniques, revues et corrigées par les formateurs, l’objectif est atteint. «L’idée n’est pas d’en faire des secouristes en montagne, me confie un sapeur-pompier appartenant à un groupe montagne sapeurs-pompiers (GMSP) du Sud de la France, mais de les sensibiliser aux gestes et bonnes pratiques à mettre en œuvre si jamais ils devaient être confrontés à des situations critiques en montagne.» Dehors, la météo commence à se calmer.

J’ai même cru apercevoir un bout de ciel bleu pendant le débriefing. Je profite du repas du midi pour échanger avec les stagiaires sur la formation. Parmi eux, Stéphane Jarrige, ancien pilote de l’armée de terre, pilote d’hélicoptère de la Sécurité civile depuis un an et basé en Guyane. «Ce stage de deux jours est une formidable occasion d’appréhender un milieu dans lequel nous pouvons être amenés à évoluer, même si théoriquement, nous ne le pratiquons que depuis les airs. Il nous permet aussi de mieux comprendre le travail des secouristes avec lesquels nous travaillons au quotidien. Entre ce que nous faisons là-haut et ce qu’eux font en bas, nous n’avons pas les mêmes contraintes.» Ses camarades écoutent attentivement et confirment. «Il nous arrive parfois de nous impatienter un peu en attendant que les secouristes soient prêts à remonter avec la victime, renchérit un pilote. Mais le vécu aide beaucoup. Le fait de pratiquer nous montre qu’il y a des délais incompressibles au sol, et nous aide à nous mettre à la place des secouristes.» Et Stéphane de conclure que «c’est aussi une bonne occasion pour renforcer la cohésion, que ce soit au sein de l’équipage ou avec les secouristes». Pour l’heure, les formateurs ont concocté une fin de stage plus détendue avec une initiation à la descente en rappel, suivie d’une marche en raquettes. De quoi profiter des paysages alpins. Et de renforcer la cohésion.   

Embarqués pour survivre
Outil souvent utilisé par les secouristes : du papier bulle, qui permet de créer un espace relativement isolant autour de la victime.
Embarqués pour survivre
Installation du blessé dans la barquette.
Embarqués pour survivre
Des sangles et des cordages sont utilisés pour harnacher la civière.
Embarqués pour survivre
Une vingtaine de minutes après le départ, la caravane terrestre arrive au hameau.
Embarqués pour survivre
En fin de stage, une initiation à la descente en rappel est proposée aux stagiaires.

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