Bloqués à 52 mètres de haut

Opérationnel - Le 22 février 2019

[Magazine] Il est 20h31, le 31 décembre dernier, lorsque l’alerte est donnée pour huit personnes coincées dans la nacelle d’une attraction dans le centre-ville de Rennes (35), à 52 mètres de hauteur. Une opération de secours rare, spectaculaire, qui mobilisera une vingtaine de sapeurs-pompiers jusqu’à 6 heures du matin.

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Voilà huit personnes qui n’oublieront jamais leur jour de l’an 2018, bloquées dans l’une des deux nacelles de ce bras rotatif, à 52 mètres de hauteur ! Il est 20h31 quand une défaillance technique arrête le bras à la verticale. Un détachement est très rapidement sur les lieux (une unité Grimp, un VSAV, une EPC, une VLS, une VLCG, une VLCC et un FPTL).

Après s’être assurés de la stabilité du bras et avoir posé une sangle à cliquet entre les parties fixe et mobile pour ne prendre aucun risque, les secours constatent qu’aucune voie de communication ne permet d’accéder à la nacelle et qu’il est impossible de libérer l’axe. La position verticale empêche de baisser sa partie fixe. L’unité Grimp se prépare à réaliser l’idée de manœuvre retenue : déployer l’échelle et effectuer la montée depuis l’axe de rotation du manège, à 26 mètres de haut.

Un engin de levage télescopique aurait pris beaucoup d’espace et de temps à être disponible et opérationnel. Les familles, au sol, s’inquiètent. Elles sont prises en charge et rassurées. Un contact est également établi avec l’un des passagers qui a son téléphone portable, ce qui permet de décrire l’ensemble des manœuvres qui vont être réalisées. «Les sauveteurs Grimp progressent difficilement, 12 mètres en une heure, et cette progression est très éprouvante physiquement : les parois sont glissantes et plus les paliers du bras se rétrécissent, plus l’ascension se complique. Ils trouvent peu de points d’ancrage fixes. Et il reste 15 mètres à parcourir, précise le commandant Arnaud Guitton, COS. Une manœuvre s’impose, plus rapide : héliporter un sauveteur en partie haute du manège.»

Une autre unité Grimp aurait pu être sollicitée pour relayer celle présente, dont les personnels n’ont pas eu le temps de s’alimenter avant l’intervention. Mais nous sommes le 31, et la disponibilité des moyens de secours est à prendre en compte. « Dragon 50 » est alors engagé.

L’hélicoptère récupère un chef d’unité Grimp sur la base du CHU de Rennes et arrive sur le site une heure plus tard, à 23h30, pour l’hélitreuiller après un détour en raison d’un feu d’artifice dans Rennes. Les huit passagers ne sont pas hélitreuillés, ni déposés au sol pour plusieurs raisons. Nous sommes en zone urbaine. Outre le fait que le long survol de la nacelle aurait été une situation stressante pour eux, il fallait un sauveteur par passager et renouveler l’opération huit fois.

De plus, la manœuvre aurait été plus longue que celle retenue. «Lors d’un hélitreuillage de ce type, le sauveteur s’attache à une main courante qu’il ne peut détacher qu’après s’être accroché au treuil. C’est une phase critique pour lui et le pilote. Si ce dernier est pris dans une turbulence ou doit atterrir en urgence pour un problème mécanique, le fait que le sauveteur et le sauvé soient reliés à la fois à l’hélico et à la structure leur fait courir un grave danger, même si la météo est clémente ce soir-là», complète le commandant Walter Pascual, conseiller technique Grimp du département et chef d’unité Grimp présent dans la nacelle pour le sauvetage. Il effectue l’ascension avec un autre sauveteur grâce à une corde d’équipement que lance le chef d’unité hélitreuillé. Une main courante de deux mètres est ensuite accrochée entre chaque sauveteur et la nacelle de 3m2. Du niveau inférieur, trois autres équipiers préparent le matériel à acheminer.

Sécuriser à 200%

En attendant, des couvertures de survie, de l’eau et des barres de céréales sont distribuées aux passagers. L’objectif est maintenant de sécuriser chacun d’eux en les équipant d’un baudrier avant de pouvoir ouvrir les arceaux de sécurité. Une opération délicate qui va durer trois heures. Tout en maintenant la nacelle stable, les sauveteurs ont peu d’espace pour glisser le baudrier entre le passager et l’arceau de sécurité. Chaque baudrier est ensuite attaché à la main courante. «Nous prenons le temps nécessaire, notre objectif est 200% de sécurité, continue Walter Pascual. Une fois les baudriers installés, nous préparons la descente, mais il nous faut d’abord accéder aux manettes de déverrouillage situées sous la nacelle. Ce que nous faisons avec une autre corde d’équipement.»

Le but : brancher des flexibles pour que de l’air comprimé puisse être injecté dans le dispositif d’ouverture afin d’actionner les manettes qui permettront de basculer en mode secours pour ouvrir les arceaux. «Toute la manœuvre est testée sur la nacelle du bas, qui est identique, en utilisant les flexibles et les bouteilles des coussins de levage utilisés en désincarcération.» Ça fonctionne, la descente va pouvoir commencer. Les huit arceaux de sécurité s’ouvrent. Après une ouverture pour le premier passager, le dispositif est de nouveau verrouillé. Le sauveteur contrôle le baudrier équipé d’une corde de descente, puis manœuvre pour que le passager soit descendu en rappel jusqu’à la plate-forme de l’échelle située à une trentaine de mètres de haut, où il est pris en charge. Il a ainsi moins d’appréhension que pour une descente complète et cela permet un gain de temps pour les prochaines évacuations.

Évacuer par symétrie

La descente dure deux minutes. «Toutes les 20 minutes, un passager est descendu. Il nous faut prêter attention à la répartition du poids sur la nacelle, toujours équilibrer victimes et sauveteurs pour ne pas qu’elle s’incline. Notre choix est d’opérer par symétrie pour l’évacuation, puis d’aller du plus jeune au plus âgé des passagers. Il a été nécessaire de déplacer certains passagers sur la nacelle», enchaîne le chef d’unité. À 6 heures du matin, le dernier passager arrive au sol. Il aura passé neuf heures et demie dans la nacelle. Un débriefing avec les familles et les sauveteurs suivra l’intervention. Les équipes Grimp reviendront quelques jours plus tard pour analyser la situation et partager leur expérience avec leurs collègues. 

Éléments favorables

  • Engagement des moyens de secours adaptés dès le déclenchement.
  • Position des passagers en hauteur, mais la tête à l’endroit.
  • Stabilité mécanique du bras du manège.
  • Évacuation rapide de la moitié de la fête foraine et du boulevard des Alliés par les forces de l’ordre, pour faciliter l’acheminement des moyens de secours et l’arrivée de « Dragon 50 ».
  • Mise en place d’un centre de regroupement des moyens derrière le cinéma, esplanade du Général de Gaulle.
  • Comportement pondéré des huit passagers, ce qui a facilité le déroulement de l’intervention.
  • Bonne coopération des forains pour la coupure des énergies, la fermeture des trois allées à proximité du « Bomber Maxx » vet d’une trentaine de manèges.
  • Conditions climatiques acceptables, qui n’ont pas entraîné de dégradation de l’état de santé des victimes.

Éléments défavorables

  • Pas d’accessibilité en partie haute du manège : aucun point d’ancrage, ce qui a rendu plus complexe l’abordage des victimes.
  • Travail particulièrement difficile et éprouvant des trois sauveteurs Grimp pour la montée jusqu’à la nacelle et l’équipement des passagers depuis une plate-forme étroite, en veillant à ne pas créer de déséquilibre.

Moyens engagés

  • 1 EPC ; 1 FPTL ; 1 VSAV ; 1 VLS 2 ; 1 VLOS (en relève) ; 1 VLCG ; 1 VGRIMP ; 1 VLCC
  • soit 21 sapeurs-pompiers des CIS de Rennes Saint-Georges, Rennes Beauregard, Rennes Le Blosne et de la direction départementale.

Déjà, en 2007…

Les interventions sur manège ne sont pas si rares et ne se déroulent pas toujours aussi bien. Rappelons par exemple celle du samedi 4 août 2007. Vers 19 heures, la fête des Loges de Saint-Germain-en-Laye (78) bat son plein lorsque la pièce métallique maintenant l’une des nacelles du « Booster » en position horizontale cède (même type de manège que celui de Rennes). Cette nacelle, avec quatre personnes de la même famille à bord, heurte alors à pleine vitesse le tablier du manège. Celui-ci s’immobilise avec la nacelle accidentée en position basse, accessible. L’accident a coûté la vie à deux hommes et en a blessé deux autres. Ici, sauvetage de deux impliqués bloqués dans la nacelle du haut.

Bloqués à 52 mètres de haut
Bloqués à 52 mètres de haut
Bloqués à 52 mètres de haut
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Par Manuel Sadaune
Photos : ©Sdis 35

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