Social et patrimoine, le grand écart du CSP Auxerre

Institutionnel - Le 08 novembre 2019

[ Magazine] Prise en charge de schizophrènes, agressions physiques et verbales... comme de nombreux sapeurs-pompiers, l’équipe du CSP d’Auxerre (Yonne) est confrontée à la misère sociale et aux risques qu’elle engendre. Mais c’est aussi un riche patrimoine, dont la cathédrale de Saint-Étienne et un centre ancien aux rues étroites que ses hommes sont chargés de protéger. Immersion.

Social et patrimoine, le grand écart du CSP Auxerre

Par Patrick Forget

A mon arrivée au CSP d’Auxerre, le chef de centre est soucieux. Le commandant Emmanuel Vitellius m’explique que ce matin, un de ses hommes s’est fait agresser. Au rassemblement de 14 heures, il relaie l’événement à l’équipe de garde : «En milieu de matinée, la “une“ est engagée dans la ZUP Sainte-Geneviève pour une altération de la conscience sur une personne de 60 ans. Sur les lieux, l’équipe effectue un premier bilan. L’homme, d’une trentaine d’années seulement, est visiblement alcoolisé et inconscient. À proximité, un petit groupe de badauds véhéments filme l’intervention. Soudain, la victime se relève et administre une gifle au chef d’agrès. Arnaud se protège en bloquant le bras de la victime, parlemente pour calmer la tension ambiante et protéger son équipe. L’homme se relève et s’enfuit sans avoir donné son identité. Fin de l’histoire.» La garde est bien silencieuse. Chacun sait que personne n’est à l’abri. Ces agressions deviennent récurrentes, même ici, dans une ville plutôt tranquille. Conscient qu’il est plus facile de raisonner derrière un bureau que d’agir dans l’urgence de l’intervention, le chef de centre rappelle quelques règles. «En cas d’agression, le sapeur-pompier n’est plus acteur du secours, il devient victime. Si vous ne pouvez plus exercer votre mission en sécurité, vous pouvez faire valoir le droit de vous retirer. Vous devez aussi appeler les forces de l’ordre et rendre compte à votre hiérarchie au plus vite. Nous sommes là pour vous aider, vous protéger et décider de la conduite à tenir. Sur vos radios Antares, vous disposez également d’un bouton SOS. Par contre, vous devez savoir qu’il n’est pas interdit de filmer sur intervention, seule la diffusion des images est interdite.» À l’issue du rassemblement, le commandant Emmanuel Vitellius accompagne le chef d’agrès et son équipière au commissariat pour déposer plainte contre X. Au foyer, l’ambiance est lourde. Chacun y va de son expérience mais personne n’a de solution. Fatalistes, résignés, beaucoup font un constat pessimiste sur l’évolution de la société. Les interventions suivantes ne démentent pas leurs propos. À la « une », l’équipe récupère un alcoolique chronique inconscient dans une maison insalubre, jonchée de centaines de bouteilles vides. Son pronostic vital est engagé. De son côté, le VSAV 2 se présente pour une femme schizophrène en pleine crise. Encore une intervention délicate ! Les sapeurs-pompiers ont tous en mémoire l’attaque au couteau de leurs collègues de la BSPP qui a fait un mort et un blessé grave. La feuille de départ est la même. Plus tard, les sapeurs-pompiers se retrouvent avec la police dans la ZAC Saint-Siméon pour des violences conjugales. Une femme enceinte a été frappée par son conjoint. Coups de pied au ventre, au dos, la victime,  traînée au sol, est en pleurs. Seul dans un coin de la pièce, comme un signe, un enfant joue avec son camion de pompiers. Le mari s’est enfui en sautant par la fenêtre du premier étage. La femme refuse le transport, de peur qu’il ne revienne tout casser dans l’appartement.

Baisse significativedes carences d’ambulances

Heureusement, certaines missions permettent d’oublier cette misère sociale. À 17 h 32, nous sommes déclenchés pour une douleur thoracique. En présence du médecin du Smur, la femme de 83 ans, aux antécédents cardiaques, est rapidement transportée. Dans la foulée, un homme de 60 ans est pris en charge pour un malaise sur la voie publique. Vers 20 heures, le Samu déclenche les secours pour une urgence psychiatrique. Un homme de 22 ans, aux idées noires, menace de mettre fin à ses jours. Il est décrit comme très agressif par son entourage, et le chef d’agrès demande immédiatement la police en renfort. Après de longues minutes de palabres, le jeune homme accepte enfin son transport à l’hôpital. Dans l’ambulance, l’homme est très agité, tremblant, tapant des pieds. La tension est extrême, il suffit d’un rien pour que l’intervention ne dégénère. Pendant ce temps, l’équipage du VSAV 2 parlemente avec un homme ivre qui refuse le dialogue. Il reste sur place, sous la responsabilité de ses proches. Deux heures plus tard, la « une » est engagée avec le FPTL pour un homme de 28 ans ne répondant pas aux appels après une menace de suicide. Sur place, entouré de ses parents impuissants, le garçon est bien là. Regard vide, propos incohérents, il a avalé une dizaine de cachets de morphine, subtilisés à sa mère, sous traitement antidouleur. L’intervention s’avère plus compliquée que prévu. Le garçon est assigné à résidence, sous bracelet électronique. Après quelques minutes, le chef d’agrès obtient l’accord des autorités pénitentiaires pour son transport à l’hôpital. La nuit est calme, la discussion se prolonge à la caserne. Les hommes se félicitent de la convention tripartite signée pour limiter les transports sanitaires. Grâce à la bonne entente entre Samu, SP et ambulanciers privés, les interventions SUAP ont diminué de 10 % à cause d’une baisse significative des carences d’ambulances. En revanche, les interventions « psy » et « sociales » continuent de miner le secours aux personnes. Mes convives de la soirée se sentent démunis, comme un dernier recours quand personne ne veut plus se déplacer. «Nous ne sommes pas formés pour faire face à ces agressions verbales ou physiques. Aujourd’hui, nous devons apprendre à nous protéger avant même de porter secours. Pareil pour certaines pathologies psy, à la limite, nous nous mettons en danger. Aujourd’hui, nous sommes incapables d’anticiper les réactions d’un schizophrène.» La garde d’Arnaud a été éprouvante, les 48 h de repos sont les bienvenues. 7 h 30, changement d’équipe. Dehors, le ciel est chargé, il pleut à grosses gouttes. Après la vérification des véhicules, le footing prévu le long du canal du Nivernais est remplacé par un volley à l’abri, dans la remise. La « une » est engagée pour un homme tombé du hayon de son poids lourd, dans un lycée. Sous une pluie battante, la victime est brancardée avec délicatesse. Le chef d’agrès suspecte un trauma du dos. Sur le retour de l’hôpital, l’ambulance est déroutée pour une dame de 80 ans qui a glissé sur un trottoir. Légèrement blessée au visage, elle aussi est transportée aux urgences.

Une cathédrale sous haute surveillance

Pour la manœuvre de la garde, nous devions nous rendre à la cathédrale Saint-Étienne. Le 11 mars 2016, à la suite d’un chantier de rénovation, un feu de toiture s’est déclaré dans la charpente, une similitude avec l’incendie de Notre-Dame, mais sans ses conséquences. Depuis, la sécurité de l’édifice a été entièrement repensée avec la sécurisation des parties hautes, l’installation de deux colonnes sèches et des exercices réguliers. L’édifice est collé à la préfecture, là où, ce matin, les agriculteurs ont prévu de manifester. Le chef de garde change ses plans et se rabat sur le silo désaffecté du centre-ville. Idéal pour les entraînements, ce site immense se prête à de nombreux ateliers : incendie, secours aux personnes, Grimp, sauvetage par l’échelle, tout est possible. Mais les bips annoncent la fin d’une manœuvre à peine commencée. Une ambulance est engagée pour un homme de 25 ans avec altération de la conscience et crise convulsive. Cinq minutes plus tard, le reste de la garde part pour un feu d’appartement. Avec ses maisons à colombages, ses rues étroites, le centre ancien garde de jolies allures médiévales. Pour les secours, c’est une autre histoire. La circulation y est difficile, seuls le FPTL et l’EPSA 18 peuvent se faufiler dans les ruelles. L’incendie est signalé au rez-de-chaussée et finalement, l’échelle n’est pas nécessaire. Sur place, de la fumée sort sous une porte où résonne le cri strident du détecteur. Les hommes tentent de l’ouvrir mais comme elle est condamnée , ils se rabattent sur une fenêtre. Personne dans l’appartement, juste un fumigène insecticide entièrement consommé. Pas besoin d’eau, un peu de ventilation suffit. Ma garde se termine, pas forcément représentative de l’activité opérationnelle. En effet, l’année dernière, selon la sécurité routière, le département a connu une augmentation des accidents mortels de 12,5 %, alors que la moyenne nationale a baissé de 5,5 %. Dans l’Yonne, on se tue deux fois plus que dans le reste de la France métropolitaine.

Quelques chiffres

Superficie : 4 000 m2 dont 600 m2 d’hébergement.

Effectif : 59 SPP et 51 SPV, 8 SSSM, 1 PATS, 2 services civiques, 16 JSP.

Régime de garde : 16 personnels la semaine en journée, 13 la nuit et les week-ends dont 2 et 3 SPV.

Interventions : 5 210 en 2018, soit 20 % de l’activité du département dont 74 % SUAP, 9 % incendies, 10 % AVP et 7 % divers.

Engins : 3 VSAV, 2 FPT, 1 FPTL, 1 CCF 4000, 1 EPC 32, 1 EPSA 18, 1 FSR, 1 VTU, 1 VAS, 1 VLHR, 4 VL, 1  VPL, 2 CSL (canot de sauvetage léger), 1 VGrimp, 4 cellules (NRBC, SD, DEPOL, DA), 1 VTP.

Population défendue : autour de 80 000 personnes.

Secteur : Auxerre et 31 communes en premier appel.

Cadets de la sécurité civile : 73 cadets répartis sur cinq sections en collège et au lycée.

Social et patrimoine, le grand écart du CSP Auxerre
Social et patrimoine, le grand écart du CSP Auxerre

Partager cet article :