Six mois de pluie en une nuit dans l’Aude

Opérationnel - Le 13 novembre 2018

[Magazine] Le bilan parle de lui-même. Plus de 1000 sapeurs-pompiers mobilisés au plus fort du sinistre, plusieurs centaines de sauvetages et plus de 1000 foyers touchés, 14 décès et 75 blessés. À Trèbes, ville la plus impactée avec Villegailhenc et Villalier, le fleuve est monté de 35 cm à 7,66 mètres entre minuit et 8 heures. Pour les sapeurs-pompiers, le prépositionement des secours, la mobilisation inégalable des volontaires et la forte réactivité des renforts ont été essentiels pour affronter les conséquences de ce déluge.

Six mois de pluie en une nuit dans l’Aude
Infrastructures statégiques, quatre ponts ont été complètement détruits par l’intensité et la violence du courant, bloquant les secours de l’autre rive.

Un peu comme une énorme vague, la rapide montée des eaux de l’Aude dans la nuit du dimanche 14 au lundi 15 octobre surprend encore une fois par son gigantisme. Même si le sol d’une partie du territoire a déjà été saturé en eau une semaine auparavant, les précipitations de cette nuit sont tellement violentes et rapides que rien n’aurait pu empêcher le ruissellement et l’importante montée des eaux. Car c’est un événement météo exceptionnel dans son intensité, qui devient anormalement stationnaire de façon très localisée, en seulement quelques heures. L’environnement est de plus en plus hostile mais les vigilances orange sont fréquentes dans le département, et certains les banalisent. Ils n’ont pas conscience des risques qu’ils encourent à se déplacer à pied, en voiture, ou en sortant juste pour observer ce qui se passe. Ils sont surpris. Des voitures sont charriées, les routes détruites et les maisons inondées. En étroite liaison avec Météo France, les sapeurs-pompiers anticipent, prépositionnent leurs effectifs, et peaufinent ce positionnement au fur et à mesure. Ils le savent, les prochaines heures vont être difficiles et exigeantes physiquement. Quand l’alerte est donnée et que l’orage devient stationnaire, les combinaisons néoprènes sont mises et les trinômes des équipes de sauveteurs aquatiques en eaux vives (SAV), sont à l’œuvre, prépositionnés. Sept cents sapeurs-pompiers sont mobilisés dans les premières heures, 160 gendarmes. Ce dispositif de prépositionnement a déjà été mis en place cinq fois depuis le début de l’année sans que la situation dégénère. Cette réactivité, cette mobilisation rapide, massive, et mesurée des secours est issue de l’expérience de l’épisode orageux diluvien de novembre 1999 qui avait fait 30 morts. À cette époque les bulletins météo spéciaux, BMS, étaient moins précis, et concernaient une zone plus étendue. S’ils ont gagné en précision, l’intensité et la localisation des précipitations restent insuffisantes. «Les données météo sont encore peu précises à l’échelle qui nous intéresse. Nous avons été pris au dépourvu de la même façon par rapport à l’intensité et la localisation. Par contre, l’expérience de 1999 nous a alertés sur la réponse que nous devons apporter. Nous n’avions que des plongeurs, peu de moyens aquatiques, de spécialistes, et pas de systèmes de prépositionnement, alors que, dorénavant, c’est un acquis en milieu méditerranéen

Témoignage

Lieutenant Nicolas Delort, chef de centre de Trèbes

«Comme à chaque vigilance orange, nous avons eu une réunion de précrise le dimanche vers 18 heures à la mairie. L’astreinte et la réserve sont appelées pour former une garde de 18 SP. Il est 1 heure 30 environ ce lundi quand je réalise l’ampleur de ce qui se met en place à Trèbes. Le réseau d’évacuation des eaux est déjà saturé dans l’ensemble de la ville, ce qui est plus impressionnant qu’en 1999. Toute la caserne est appelée, mais à 2 heures, certains sapeurs-pompiers éloignés du centre ne peuvent déjà plus venir. Mon adjoint, le lieutenant Michel Faelli, gère alors le PC caserne et je pars pour le PC mairie qui est vite impacté et déménagé à la caserne. Quarante SP sont là et réalisent dans la nuit une quarantaine de sauvetages et une centaine de mises en sécurité. Des personnes coincées au premier étage de leur habitation ou sur le toit de leur véhicule. Parallèlement, les premiers renforts locaux arrivent. La ville est alors coupée en deux. Le fleuve, d’une profondeur de 35 cm à minuit, est passé à 7,66 mètres à 8 heures du matin (il était monté à 7,95 mètres lors de la crue historique de 1891). Les premiers renforts extradépartementaux arrivent dans la journée du lundi (Sdis 30, 31, 66 et le BMPM). Dans le secteur de Trèbes, ce sont deux groupes SAV en plus des locaux, et six groupes polyvalents inondations qui sont à l’œuvre. Les renforts gèrent leur relèves. Certains sont debout depuis 24 heures et après leur repos, des missions plus légères leur sont allouées. L’Aude est un département de volontaires (1800 SPV et 180 SPP) et beaucoup posent une semaine de congé pour venir renforcer nos effectifs. Ils réalisent une centaine d’interventions. Aujourd’hui, même si nous sommes toujours auprès de la population, c’est heureusement “une autre vague“ qui traverse la ville, celle de la solidarité envers les personnes et envers les SP sinistrés.»

Nous avons élargi notre vivier de spécialistes et établi des prépositionnements aux endroits les plus sensibles, dès que l’on passe en vigilance orange», précise le colonel Henri Benedittini, directeur du Sdis de l’Aude. Des formations sont mises en place. Tous les SPP du département sont au minimum au niveau SAV1, avec une formation complémentaire de sauveteur en eaux vives pour les courants importants. Cent quarante personnels ont ainsi un niveau entre SAV 1 et 3, ce dernier niveau répondant aux besoins de sauvetage côtier du département. Un sauveteur aquatique est systématiquement engagé dans les CCF des groupes polyvalents inondations. Sur place, au moment où des renforts locaux arrivent, ces derniers sont en reconnaissance, quand ils ne sont pas bloqués par la montée des eaux. Il y a tellement de courant que même les embarcations sont mises en danger. Un sentiment d’impuissance s’installe. Quatre ouvrages d’art sont détruits, à Villegailhenc, Salsigne, Villardonnel, Aragon où il est impossible de passer d’une rive à l’autre. Des routes sont éventrées. Les personnes se réfugient sur leur toit ou au premier étage, car l’eau a envahi les rez-de-chaussée. D’autres attendent sur leur véhicule. Une longue période de recherche et de sécurisation des personnes, des biens, commence. «En plus des 12 équipes départementales, sont venus en renforts 12 GSEV (groupes de sauvetage en eaux vives), 8 GAI  (groupes d’assistance et interventions, groupes mixte avec CCF et embarcations) et 11 GPI (groupe polyvalents inondations, pour le pompage et le nettoyage, sans sauveteur)», précise le lieutenant Jean-Pierre Cires, conseiller technique SAV du Sdis. Au plus fort de l’intervention, 60 à 70 sauveteurs sont engagés, soit 12 équipes. La première difficulté est la perte de réseau GPS car les bornes sont hors service et il nous faut trouver le cheminement pour intervenir dans les vagues et embâcles. Nous utilisons des radios marines puis Antares et le réseau satellitaire. Cette difficulté est liée à une autre : ce genre de phénomène se produit souvent la nuit. Les sauveteurs connaissent bien le terrain. Nous prépositionnons stratégiquement les mêmes personnels aux mêmes endroits.»

Un grand nombre de volontaires

Le lundi, les moyens montent en puissance. Ils sont départementaux, zonaux et deviennent rapidement extra-zonaux et nationaux. Les hélicoptères n’auront la fenêtre météo nécessaire pour leur rotation qu’entre 4 et 9-10 heures du matin, alors que leur intervention est essentielle pour les endroits les plus isolés, ou difficiles d’accès. Les secours effectuent 1042 interventions en 36 heures. Plusieurs communes sont évacuées, ainsi que plusieurs Ehpad et un hôpital psychiatrique. Le Centre hospitalier de Carcassone a ses sous-sols inondés, ce qui limite certaines de ses activités. «Heureusement que nous disposons de beaucoup de petits centres. Dès le début, la mobilisation des volontaires a été exceptionnelle, incomparable. En quelques heures, 400 se sont présentés spontanément, dont 160 à Carcassonne. Une montée en puissance inégalable dans d’autres services publics. Ils connaissent le terrain, peuvent intervenir de nuit. C’est chez eux», souligne Henri Benedittini. Avec un maillage territoriale fort, un grand nombre de volontaires (90% des effectifs), des spécialités et des compétences élargis, un système de prépositionnement rodé, des départements limitrophes réactifs, la réponse à ces intempéries  ne pourra évoluer qu’avec des données météo plus précises quant à l’intensité et la localisation, et une véritable conscience pour la population de vivre dans un environnement qui peut devenir hostile, respecter les niveaux de vigilance et, allons plus loin, assimiler les gestes qui sauvent. Deux jours après les inondations, la circulation reste difficile, impraticable sur certaines routes. Des sections JSP sont venus de plusieurs départements pour renforcer les effectifs sur place (voir article page 54). Suit une longue période post-hivernale, de reconstruction, de retour à la vie normale, d’abord matériellement (déblais, eau potable et électricité retrouvées…) mais aussi une période d’accompagnement des personnes en détresse psychologique, choqués. Certains ont tout perdu.

Texte Manuel Sadaune
Photos Reuters / Sdis 11

A savoir

Éléments favorables

• Prépositionnement
• Mobilisation rapide et massive des volontaires
• Maillage territorial
• Réactivité des départements limitrophes.

Éléments défavorables

• Orage stationnaire
• Localisation et intensité
• Violence des courants
• Rotations des hélicoptères retardées par la météo.

Le point sur les renforts

Sdis Alpes-Maritimes, Ariège, Aveyron, Bouches-du-Rhône, Gard, Haute-Garonne, Gers, Gironde, Hautes-Pyrénées, Lot, Lozère, Pyrénées-Atlantiques, Pyrénées-Orientales, Tarn, Tarn-et-Garonne, Var, Vaucluse, BMPM.
150 hommes des Unités d’instruction et d’intervention de la sécurité civile de Brignoles et Nogent-le-Rotrou.

Six mois de pluie en une nuit dans l’Aude
Six mois de pluie en une nuit dans l’Aude
Sur place, le président de la République, Emmanuel Macron, accompagné de Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, du colonel Henri Benedittini, DDSIS, et de Grégory Allione, président de la FNSPF, a rendu un hommage très appuyé aux sapeurs-pompiers et à la solidarité qui s’est levée dans le département.
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