Secours aux personnes : l’urgence de repenser

Opérationnel - Le 20 septembre 2019

[MAGAZINE] Les urgences en France sont en crise. Le système est «à bout de souffle» et les sapeurs-pompiers, avec 84% de leurs missions consacrées au SUAP, sont en première ligne pour pallier ses carences.

Secours aux personnes: l’urgence de repenser

«Ce que nous voulons, simplement, c'est redonner du sens à notre  mission pour nous permettre de continuer à faire du secours d'urgence avec la qualité que l’on nous a toujours reconnue.» Le contrôleur général Marc Vermeulen, directeur départemental du Val-d’Oise, est policé, mais il n’en reste pas moins déterminé. Le vice-président de la  FNSPF, chargé des affaires opérationnelles, s’exprime lors de la rencontre Secours d’urgence aux personnes (SUAP) qui se tenait jeudi 19 septembre 2019 à Vannes lors du Congrès national des sapeurs-pompiers de France. «Il n’y a pas d’opposition entre les blancs et les rouges, nous ne sommes pas en guerre», ajoute-t-il lors de cette conférence très suivie, à la mesure des attentes que suscite l’évolution de cette activité qui représente 84% des missions des sapeurs-pompiers.
«On dit que les sapeurs-pompiers ne veulent plus faire de SUAP. C’est faux», explique Marc Vermeulen. «Porter secours est dans notre ADN, mais nous voulons le faire autrement. Nous voulons reprendre le commandement de nos moyens pour redonner du sens à la mission.» 
Les constats énoncés constituent, en creux, un sévère réquisitoire contre la réalité de la situation actuelle. 
Sur les numéros d’appel d’urgence, d’abord, un dossier cher à la fédération qui souhaite un numéro d’appel unique, le 112
L’enjeu est fort. «Nous savons tous ici que la qualité de la gestion des appels détermine celle de la réponse opérationnelle», explique le colonel Véronique Soubelet, conseillère auprès du président de la FNSPF et pharmacienne-chef du Sdis33. «Nous savons tous que la régulation tout médical est complètement dépassée en termes de capacité, et donc de délai et d'efficacité», ajoute-t-elle.

Numéros d'urgence : «un paysage assez flou»

Le système actuel de numéros d’urgence «compose un paysage assez flou» avec «très peu d’interconnexions», explique Patrick Hertgen, vice-président de la fédération, chargé du SUAP et du SSSM. Un état des lieux qui «aboutit à des dysfonctionnements systémiques» regrette-t-il, avant de juger que si «le système rend des dérapages possibles, c’est que le système doit être changé».
Rappelant qu’un déclenchement des secours en plus de deux minutes entraîne une perte de chance pour les patients, Patrick Hertgen s’est insurgé: «Aujourd’hui, dans certains services d’urgence, cela continue parfois de sonner alors que ce délai est dépassé. Un système qui ne répond pas est une imposture». Selon lui, les sapeurs-pompiers ont toutes les raisons de se féliciter de la décision, le 9 septembre dernier, d’Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Sante, de créer le Service d’accès aux soins (SAS), avec un budget de 340 millions d'euros sur trois ans. Ce système, dont les détails ne sont pas encore connus, vise à répondre aux besoins de soins ne relevant ni de l’urgence ni des soins programmés, en informant et orientant les malades. 
Un premier pas bienvenu alors que la crise aigüe de l’urgence s’accompagne de bouleversements sociétaux face auxquels les sapeurs-pompiers sont en première ligne. La dépendance accrue d’une population vieillissante et l’éloignement toujours plus important des structures de soins dans les zones rurales impactent en effet de plein fouet les services d’incendie et de secours. 
D’un point de vue financier, d’abord. Lorsque les temps de transport sont multipliés par deux ou trois, tout augmente en proportion, les frais de carburant, l’usure des véhicules et les rémunérations des sapeurs-pompiers. «Les interventions reviennent plus cher à un moment où l’on nous dit de serrer la vis», regrette le directeur du Sdis de la Creuse, Frédéric Delcroix. «On ne peut résoudre une équation avec des facteurs qu'on ne maîtrise pas.» 
Sur la fidélisation des volontaires, ensuite, qui mettent entre parenthèses leur activité professionnelle le temps de leur mission pour le Sdis. Rallonger les temps d’intervention pour des transports ne relevant pas de l’urgence mais de carence des autres acteurs peut vite les démotiver.
Sur l’organisation opérationnelle, enfin. Dans un petit centre, un transport via le VSAV peut entraîner l’indisponibilité du FPT. Si les délais s’allongent, l’indisponibilité également...  

Techniciens de secours d’urgence

Au-delà de ce qui ne relève pas directement des sapeurs-pompiers, comme la mise en place de la télémédecine ou le transport vers d’autres structures que les hôpitaux, une piste d’évolution sur ce sujet réside dans la mise en place des Techniciens de secours d’urgence (TSU), des sapeurs-pompiers aux compétences élargies.
Jusqu’ici, «la réponse graduée a fonctionné avec les infirmiers de sapeurs-pompiers», note Eric Herbé, animateur de la commission technique et pédagogique du SUAP et du secourisme. Il estime nécessaire de créer, «vu l'augmentation exponentielle de nos missions, un échelon intermédiaire et audacieux». 
Une audace d’autant plus nécessaire que le problème se pose dans tous les territoires. «Aujourd’hui, on oppose ruralité et centres urbains mais les déserts médicaux existent aussi en zones urbaines», analyse Marc Vermeulen. Il présente à ce sujet une statistique édifiante de son département: «dans 54,4% des cas, le personnel n'ouvre pas le sac secouriste. Ils vont au domicile de la personne et la transportent vers des urgences saturées. Quelquefois, ils n'ont même pas le temps de sortir du sas que la personne sort de l’hôpital car elle ne veut pas attendre. On marche sur la tête car le système est à bout de souffle.» 
Reste que les réformes que demandent les sapeurs-pompiers sont bien souvent tributaires du ministère des Solidarités et de la Santé, dont ils ne relèvent pas. D’autant que les réticences corporatistes sont nombreuses parmi les professionnels de la Santé. Les propos du Dr François Braun, président de Samu-Urgences de France (SUdF) comparant les infirmiers sapeurs-pompiers à l’homme de Néandertal, donc voués à disparaître, ont choqué.
«La longueur des études ne fait pas forcément l'élégance, et l'humilité est sans doute un module oublié dans le cursus médical de certains», lui a répliqué Véronique Soubelet, provoquant un tonnerre d’applaudissements spontanés.

Texte : Matthieu Guyot de Saint Michel
Photos : Stéphane Gautier


Vidéo : replay de la conférence dans son intégralité


Partager cet article :