Le CHU de Pointe-à-Pitre totalement évacué après un incendie

Opérationnel - Le 15 février 2018

[Magazine] Retour sur l'incendie qui s’est déclaré le 29 novembre 2017 au CHU de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe). Cet incendie présentait des proportions telles que l’évacuation totale du bâtiment a été décidée, soit près de 1.200 personnes !

Le CHU totalement évacué après un incendie

Le lieutenant-colonel Alain Tirolien, directeur adjoint par intérim et deuxième COS (commandant des opérations de secours) de cette intervention, n’en revient toujours pas. S’il avait été confronté à un exercice théorique – presque – similaire lors de sa formation d’officier, on lui avait bien dit que l’évacuation totale d’un hôpital n’était pas envisageable. Et pourtant…


Il est aux alentours de 14h15 lorsque le CODIS de la Guadeloupe reçoit un appel en provenance du CHU signalant « un feu dans un local technique », sans plus d’indications. Aussitôt, des secours sont dépêchés sous la responsabilité du commandant Carl Chipotel, avec sept engins et 30 sapeurs-pompiers. à son arrivée, il constate un rayonnement important, de fortes chaleurs et fumées, et demande aussitôt des renforts.

Déjà, il faut faire face à un premier sauvetage, celui d’un employé de l’hôpital pris au piège sur un parapet extérieur du premier étage après avoir voulu échapper aux fumées. Il sera évacué avec l’échelle à coulisse. Par la suite, cet homme fera un malaise en raison des fumées toxiques et sera hospitalisé en soins intensifs.

L’hôpital est un des seuls bâtiments de la Guadeloupe classés immeuble de grande hauteur (IGH)

Vers 15 heures, le lieutenant-colonel Alain Tirolien se rend sur les lieux, constate la gravité et prend le COS. Le foyer intéresse un local technique avec un magasin de dépôt, des installations techniques et quelques bureaux. Les autorités sont informées de la gravité de la situation, la préfecture active le Centre opérationnel départemental (COD), généralement utilisé pour les cyclones, tremblements de terre, inondations, etc., eu égard au caractère très sensible du CHU.

Chiffres clés

• Demande de secours à 14 h 15.
• Feu circonscrit vers 17 heures.
• Feu maîtrisé à 22 h 40.
• Feu éteint à minuit. Surveillance durant trois jours.
• 73 sapeurs-pompiers, plus une vingtaine qui se sont présentés spontanément en renfort, et une vingtaine de véhicules ont été engagés.
• Près de 1 200 personnes évacuées en 2 h 30, dont 425 patients dirigés vers les autres établissements de santé en Guadeloupe et en Martinique.

Un feu sournois

Très vite, « des évacuations sont organisées par l’hôpital car les fumées envahissent les locaux près du local technique, qui est contigu au bloc opératoire et aux urgences entre autres, pour éviter que les patients soient en danger », précise le Cos.

Au PC de crise de l’hôpital se retrouvent des représentants des services de l’état et des élus, des dirigeants de l’hôpital, etc. Les sapeurs-pompiers réquisitionnent un local pour leur PC de site, avec les fonctions moyens, renseignements et anticipation.

Vers 17 heures, le feu est circonscrit avec trois points d’attaque, mais le fort rayonnement et les importantes fumées restent une menace. Celles-ci se propagent toujours, jusqu’au septième des dix étages. Et au 9e se trouve le service des prématurés et des nourrissons en couveuse ! « En principe, ces bâtiments sont encloisonnés par des portes coupe-feu, évitant la propagation aux autres secteurs, ce qui permet à l’hôpital de continuer à fonctionner. L’une d’entre elles a été détruite suite à l’explosion d’une bouteille de gaz et les autres semblent n’avoir fonctionné que partiellement.

"Ce n’était pas du tout normal", note le Cos. Malgré leurs équipements, y compris les ARI, il est difficile pour les sapeurs-pompiers de tenir plus de cinq à dix minutes entre fumées et fortes chaleurs. Il faut donc assurer des relèves régulières. D’autant que quatre sapeurs-pompiers ont dû être pris en charge, intoxiqués par les fumées ou sous le choc parce qu’ils étaient proches du souffle des explosions.

Lieutenant-colonel Alain Tirolien, 2e Cos

« Ce qui m’a marqué, c’est le professionnalisme et la solidarité de tous. »

SPF - le Mag : Quelle est la particularité de ce feu ?
Alain Tirolien : On ne savait pas que, en plus des produits pharmaceutiques, il y avait des bouteilles d’oxygène et d’acétylène dans l’entrepôt. Quant aux protections des gaines techniques, elles dégageaient une fumée toxique. Des explosions dont le souffle a fait trembler les murs ont compliqué l’intervention. Nous avions également la crainte que le feu se propage dans un local adjacent où étaient stockées une centaine de batteries à utilisation médicale et dans les labos où se trouvaient des produits inflammables et explosifs. Il fallait donc absolument contenir le feu dans le local technique.

Qu’est-ce qui a été compliqué dans cette intervention ?
Il y avait tellement de fumée et de chaleur que les sapeurs-pompiers ne pouvaient pas accéder au foyer principal. Nous avons envoyé une nappe d’émulseur pour couvrir l’incendie par étouffement. Comme les fumées ne s’échappaient pas et que ça pouvait être catastrophique, nous avons fait des trouées dans les murs, cassé des fenêtres et mis en place un extracteur de fumée. Mais ce n’était pas suffisant. Nous avons fait appel, via le Codis, à des entreprises ayant des extracteurs de fumée pour nous aider. Nous avons également augmenté la pression dans le système d’eau froide de l’hôpital pour faire éclater les tuyauteries et les transformer en sprinkler. Et ça a fonctionné.

Avez-vous déjà été confronté à ce type d’intervention ?
C’est la première fois au CHU. J’ai l’impression que le feu couvait déjà depuis longtemps. Ce feu est exceptionnel car l’hôpital est un bâtiment très sécurisé (détection, cloisonnement, désenfumage, service incendie) et les fumées ne sont pas restées cantonnées au local technique. Heureusement, nous connaissions l’établissement (commission de sécurité, exercices, et des SPV parmi le personnel incendie du CHU), mais lorsqu’on se trouve dans un hôpital IGH, dans le noir et avec les fumées, on perd ses repères. On ne voit pas d’où ça part, ni comment l’attaquer. On est dans un labyrinthe. Ce qui m’a marqué, c’est le professionnalisme et la solidarité de tous.

A l’heure des évacuations

à 14 h 30, après concertation avec le Cos, le directeur du Samu (directeur des secours médicaux) et le directeur de l’hôpital, directeur des opérations de secours, décident de faire jouer le principe de précaution et de procéder à l’évacuation de l’ensemble de l’établissement tant qu’il est encore temps. Une décision très lourde sachant que des patients sont au bloc opératoire. Pourtant, tout se passe dans le calme, sans panique grâce à une bonne coordination entre les personnels du CHU et les sapeurs-pompiers. Le plan blanc est déclenché et, en 2 h 30, le bâtiment est vidé. Pour prendre le relais des soins, en plus des autres hôpitaux et cliniques de la Guadeloupe, l’Agence régionale de santé (ARS) et l’état-major de zone font appel à l’Escrim, élément de sécurité civile rapide d’intervention médicale, hôpital de campagne projetable d’une surface de 1 000 m2 (normalement dédié aux catastrophes à l’étranger). Une enquête est en cours pour déterminer les causes de cet incendie. 

Texte Martine Debette
Photos Sdis Guadeloupe

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