Incendie de la tour Grenfell à Londres : analyse d'une catastrophe

Opérationnel - Le 18 août 2017

[MAGAZINE] Le 14 juin 2017, peu avant 1h du matin, un incendie se déclare dans une tour d’habitation de Londres, causant la mort d’au moins 79 habitants. Le feu se propage rapidement aux quatre faces du bâtiment. Retour sur le sinistre et sur des exemples de précédents.

Article extrait du magazine "Sapeurs-pompiers de France" n°1102 - juillet/août 2017

 

Visuel Article SPMag - Grenfell Londres - TwitterPic-@Nathalie_Oxford
Photo : Twitter / @Nathalie_Oxford

L’incendie de la tour Grenfell, de 24 étages, le 14 juin 2017 à Londres (Grande-Bretagne), résulte d’une dramatique accumulation de facteurs défavorables. Éclatant en pleine nuit à partir du réfrigérateur situé dans la cuisine d’un appartement du 4e étage, peu avant 1h du matin (cas le plus défavorable), le feu, qui ne tarde pas à se développer, se propage par les baies. On ne sait pas pour l’instant si la porte palière est laissée ouverte ou non – entraînant l’enfumage d’emblée de l’escalier dès ses niveaux bas –.

Plus de 300 occupants ont tout de même pu emprunter cet axe unique et franchir l’étage du feu sans trop de difficultés. L’incendie survient de nuit, ce qui implique une occupation maximale de la tour, évaluée à 400 personnes.

Le feu se développe tous azimuts

Le sinistre est parti comme une feuille de papier que l’on allume à sa base, et se développera en façade, d’une part par la présence d’un revêtement de type sandwich alu / polyéthylène, mais pas seulement, au regard de la durée de combustion des façades. Un autre matériau isolant (du PIR, de 5 à 15 cm, emplissant les vides sous les panneaux) devait se trouver sous le revêtement de surface… Un vide d’air semble exister dans la façade rideau, favorisant, lui, l’entrée du feu dans les appartements. Car si habituellement les feux de façade peuvent entraîner de façon aléatoire des feux d’appartement – au gré des fenêtres laissées ouvertes (il faisait chaud ce soir-là) ou des matériaux placés près des baies –, il semble qu’ici le feu se soit quasi systématiquement propagé à tous les niveaux. La forme de spirale que prend le front de flammes, créée par la forte convection au droit des façades, permet à l’incendie de se propager bientôt aux quatre faces.

Il est vraisemblable que le feu, dès la moitié supérieure de la tour, se soit développé conjointement par l’intérieur et par l’extérieur. C’est alors un sinistre en développement libre qui ne cessera que par manque de combustible. Soulignons à ce propos la stabilité au feu de ce bâtiment qui, grâce à ses 14 poteaux périphériques de forte section, a conservé son intégrité après une douzaine d’heures de feu intense. Il semble que l’habillage de ces poteaux en béton, outre son effet de cheminée dès qu’il fut atteint, permit au feu de tomber de plusieurs étages par chutes de matériaux dans ces coffrages aux parois d’aluminium.

Dans un tel sinistre, seule l’intégrité d’un axe vertical abrité des fumées peut permettre une attaque intérieure. Il n’est pas concevable d’engager des équipes de sauveteurs au-dessus de niveaux encore en feu. Toutefois, même si ce fut possible, l’enchevêtrement de tuyaux dans un unique escalier le paralyse rapidement. Restent les établissements rampants en façade établis grâce à des équipes entraînées et équipées. Ils peuvent reprendre l’attaque vers les niveaux supérieurs et augmenter l’offre hydraulique. Mais c’est compter sans le feu de façade et ses surfaces charbonnantes susceptibles de détruire le tuyau. Enfin, parlons de l’attaque par l’extérieur, normalement écartée dans la tactique Immeubles de grande hauteur (IGH), mais tout de même tentée en mode dégradé.

Si son efficacité est faible en profondeur au-delà de 30 m – hauteur des moyens aériens – , elle peut « calmer » un feu de façade une dizaine d’étages au-dessus, en verticalisant un jet de lance-canon déjà sur nacelle. On peut alors atteindre 45 à 50 m, en fonction des conditions météo. Les lances-canon de plain-pied peuvent atteindre une bonne quinzaine d’étages, mais leur action à la tangente de la façade n’aura un effet certain que sur le feu de revêtement. Parfois, l’IGH est encadré d’immeubles proches. Les terrasses ou baies de ces derniers peuvent être employées dans ce cas.

"Chaque panneau d’aluminium composite de la Grenfell Tower coûtait 2,30 euros de moins que la version ininflammable. La société Rydon aurait ainsi réalisé, selon « The Times », une économie de 5.700 euros sur les travaux de réhabilitation."

« L’Express », 21 juin 2017

Visuel Article SPMag - Grenfell Londres - Dessin Eric et René Dosne
© E. et R. Dosne

 

Des craintes prémonitoires…

La tour Grenfell fait partie du « Lancaster West Estate », un complexe d’habitations sociales de près de 1 000 appartements situé dans l’ouest de Londres, contigu à l’un des quartiers les plus aisés de l’agglomération, ce qui exacerbe les tensions. Construite en 1974, elle a fait l’objet d’une réhabilitation en 2016, portant sur de nouveaux revêtements extérieurs, de nouvelles fenêtres et un chauffage collectif entre autres. Selon l’ancien président de l’Association des résidents de la tour, 90 % des habitants avaient signé en 2015 une pétition réclamant à la municipalité une enquête sur le niveau de sécurité de la tour. Ils se plaignaient par ailleurs de la mauvaise gestion de l’entreprise responsable de la maintenance de l’immeuble.

Sur son blog, le groupe d’action avait écrit il y a sept mois : « Malheureusement, le groupe d’action Grenfell est parvenu à la conclusion que seul un sinistre qui entraînerait une grave perte de vies des résidents permettra l’examen du niveau de sécurité de l’édifice ». On ne peut être plus visionnaire. Depuis l’incendie, des manifestations ont eu lieu à Londres, devant Downing Street 10, résidence du Premier ministre, Theresa May, conspuée par ailleurs lors de sa visite sur place. Les résidents recevront £500 en espèces, suivis d’un paiement bancaire, l’argent venant du fonds de £5 millions annoncé par Mme May. Mais au regard de l’ampleur de la catastrophe, il est probable que ces mesures n’endigueront pas la vague de protestation qui enfle et touche de nombreux services d’État.

 

 


Quelques précédents

  • Sur un incendie à Philadelphie (États-Unis), par exemple, après avoir perdu cinq des leurs dans un feu ravageant trois étages d’IGH, les sapeurs-pompiers établissent des lances-canon depuis deux IGH environnants, avant de reprendre une attaque intérieure.
  • En France, dans le quartier de La Défense (Paris), certaines tours sont espacées de 8 mètres. Il serait donc possible, en mode dégradé – feu généré par une action criminelle neutralisant les dispositifs de sécurité incendie –, d’utiliser les tours environnantes comme points d’attaque élevés.
  • Quatre incendies de tours, survenant à São-Paulo (Brésil) et Séoul (Corée du Sud) entre 1970 et 1974, vont entraîner la mort de 413 personnes au total, et révéler des lacunes constructives prouvant que l’on ne pouvait impunément empiler des étages sans réglementation incendie appropriée à ce type de risque si particulier. Les images effroyables de ces incendies spectaculaires, montrant des habitants qui s’élancent dans le vide sur de dérisoires matelas, feront le tour du monde et inspireront le film « La Tour infernale » en 1974. L’expression « tour infernale » deviendra même une référence journalistique.*
  • L’incendie de la tour madrilène Windsor (Espagne), en 2005, n’usurpera pas cette expression. Heureusement en cours de réhabilitation – mise aux normes incendie ! – et donc vide, elle sera emportée en une nuit par un incendie mettant en lumière des anomalies de compartimentage vertical. Sa partie supérieure métallique s’effondrera autour du noyau central de béton après que les sapeurs-pompiers ont évacué l’édifice.
  • Puis, ce sera l’incroyable collection d’incendies de revêtements de façades survenant aux Émirats, et plus particulièrement à Dubaï. *  Par ailleurs, Moscou, Grozny et la Chine connaîtront des sinistres, limités à la façade. Dans tous les cas, leur noyau central conservera son intégrité, permettant évacuation et intervention selon les règles devant prévaloir dans ce type de construction. Évidemment, la composition des panneaux de façade sera pointée du doigt, soulevant un problème de taille : plus de 900 IGH de Dubaï sont tapissés de ces panneaux combustibles ! Outre l’interdiction d’en poursuivre la pose, le démontage total ou partiel est envisagé, entraînant l’inquiétude des propriétaires qui craignent de voir leurs charges exploser ou leur bien perdre de la valeur…
  • En France, il y eut l’incendie de Roubaix (Nord), en 2012. Là encore, le « restyling » d’une habitation de 4e famille (17 étages), faisant appel à un matériau semblable, alimentera un spectaculaire incendie courant du 1er au 17e, provoquant sur son passage quelques feux d’appartement et le décès d’une occupante au 17e étage.
  • Quelques feux en IGH survenus ces dernières années à Paris et en province ont porté à réflexion. Dans le 1er, un occupant, affolé, sort des meubles en feu et les pousse contre la ventilation basse du couloir, embrasant le palier et entravant le désenfumage. Les baies de l’étage supérieur se fendent… La source de réalimentation de la réserve incendie doit être activée grâce à une action manuelle de l’officier prévention. Dans le second, le feu, qui sort de l’appartement, parvient à gagner l’un des escaliers, pourtant encloisonnés. Le système de désenfumage étant inopérant, il faudra déplacer plusieurs ventilateurs mobiles d’étage en étage pour, en plusieurs heures, pouvoir désenfumer les circulations sur une trentaine d’étages.
  • Dans un IGH de bureaux en cours de réhabilitation, une main criminelle allume la machinerie de la batterie d’ascenseurs basse, tout en enflammant des déchets de chantier dans une cabine de la batterie haute. Le concept d’attaque IGH ne peut être appliqué et, par 32 °C, les sapeurs-pompiers interviennent à pied, devant conjointement effectuer la reconnaissance sous ARI d’une dizaine d’étages supérieurs...
  • Enfin, à Chambéry (Savoie), l’incendie d’un studio situé à l’avant-dernier étage d’un IGH se propage latéralement par les coffrages de stores au duplex voisin, portant le feu sur deux étages. Là aussi, la tactique IGH est bousculée car un bouchon de fumée redescendant dans l’escalier vers les niveaux bas, empêchant les sapeurs-pompiers d’établir leur PC avancé à N-2. Ces exemples montrent à quel point un incendie en IGH peut se compliquer si l’un des maillons assurant sa sécurité vient à faillir…
  • L’incendie du « Plasco building » à Téhéran, en mars 2016, est particulier. Après quatre heures de lutte contre un incendie qui se développait sur plusieurs niveaux, 16 sapeurs-pompiers et de nombreux civils périssent dans l’effondrement soudain de cette tour de 15 étages transformée en ateliers de confection. C’est vraisemblablement ce feu, de puissance industrielle, qui a fragilisé la structure d’un étage, entraînant son effondrement et, par effet de choc, la destruction des autres.
  • La destruction des tours jumelles, le 11 septembre 2001 à New York (États-Unis) ne peut entrer, par son origine terroriste, dans les exemples précités, mais elle a montré, de façon dramatique, que pour les victimes situées au-dessus du feu, point de salut en l’absence d’un axe d’évacuation protégé et sûr…

Depuis, les tours de nouvelle génération construites à « Ground Zero » disposent toutes d’un noyau central aux parois de béton épaisses de… 60 cm ! Enfin, vague écologique aidant, de nombreux projets d’IGH à structure bois enfièvrent les bureaux d’études, les élus et leurs écoquartiers. Une véritable course à la hauteur s’est engagée. Les gigantesques incendies de résidences en bois R + 7 survenus aux États-Unis doivent nous interpeller. Méditons ces exemples passés.
 


 

Texte : René Dosne

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