Etat et collectivités territoriales face aux difficultés des Sdis

Opérationnel - Le 13 octobre 2017

[MAGAZINE] Bilan de la départementalisation 20 ans après, harponnage par Bercy de dotations pourtant cruciales dans le contexte de forte baisse des investissements des Sdis, mise en œuvre des futurs systèmes de gestion opérationnelle et d'alerte, annonce du maintien du comité des financeurs... la rencontre lors du 124e Congrès concernant l'organisation des Sdis a tenu toutes ses promesses en termes d'analyses et de propositions.

Visionner la rencontre

Congrès 2017

Les Sdis sont sollicités de toutes parts dans un monde qui change. A l'augmentation sans cesse croissante des interventions –4,5 millions en 2016, soit 1 million de plus qu'il y a 15 ans–, se double un champ d'action toujours plus grand ainsi que l'émergence de nouveaux risques. «A l'image de la menace attentat qui devient partie intégrante de nos responsabilités», soulignait le colonel Grégory Allione, vice-président de la FNSPF, en préambule de la rencontre de vendredi matin ayant pour thème «Organisation des Sdis: bilan, contraintes, limites et perspectives.» Une rencontre de près de deux heures et demie, animée par les journalistes Thomas Hugues et Hervé Jouanneau, qui s'est déroulée en deux temps: une première séquence consacrée à la partie opérationnelle de la sécurité civile et à sa place au sein de la gestion des crises, suivie d'une seconde séquence portant sur le bilan de la décentralisation, vingt ans après sa mise en œuvre.

Gagner collectivement

Face à une salle comble de 500 personnes constituée d'un large public  de sapeurs-pompiers, présidents de Sdis, sénateurs, députés et maires, le préfet Jacques Witkowski, directeur général de la Sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), et Olivier Richefou, président de la CNSIS (Conférence nationale des services d'incendie et de secours), ont d'abord tenté de répondre aux interrogations et de tracer des perspectives sur plusieurs sujets: le secours en montagne, l'unité de la chaîne de commandement, le système de gestion opérationnelle (SGO)-système de gestion des alertes (SGA), ou encore l'interopérabilité.  

Patron de la DGSCGC, le préfet Jacques Witkowski a d'emblée insisté sur un aspect général: «Le système de la sécurité civile est extrêmement résilient et bien organisé, notamment grâce aux Postes de commandement (PC) que vous avez tous organisés depuis de nombreuses années, vous intervenez en autonomie, et cela, c'est très important.» Illustration du rôle de l’État dans la sécurité civile, la mise en œuvre du SGO-SGA a été présentée par le préfet Witkowski comme «un pari qu'il faut qu'on gagne collectivement», avec l'annonce d'une amorce de calendrier prévoyant son début de mise en fonctionnement pour 2020.

«Rendez-nous nos millions!»

La question de son financement a donné l'occasion à Olivier Richefou de dénoncer la perte des 22 millions d'euros, supprimés par Bercy dans la loi de finances 2018, qui étaient fléchés pour l'investissement des Sdis à la suite de la réforme de la prestation de fidélisation et de reconnaissance. «Rendez-nous nos millions!», a-t-il résumé, pour traduire le besoin et l'urgence de ces montants consacrés à l'investissement si durement mis à mal depuis six ans, comme l'a rappelé le président de la FNSPF, Éric Faure, lors de la seconde séquence: «Dans de nombreux territoires, les départements sont en incapacité d'accompagner certaines évolutions. On a un constat terrible, chiffré, de la baisse de l'investissement: en équipements –c'est-à-dire, le casernement, les véhicules, les matériels­–, le montant d'investissement, qui était de 800 millions d'euros en 2010, ne représente plus que 540 millions en 2016. Soit 25% de baisse. Cette baisse de l'investissement est un frein terrible à l'évolution des Sdis.»

Durant cette seconde séquence consacrée au bilan de la départementalisation, le plateau en tribune s'est étoffé de la présence de Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre de l'Intérieur, et de Dominique Bussereau, président de l'Assemblée de France (ADF), qui a livré sa vision de la départementalisation: «Ce travail à trois avec les communes, les départements et l'Etat fonctionne bien! Est-ce qu'il faut évoluer et adapter l'organisation de la gouvernance des Sdis à des échelles différenciées? Avec Olivier Richefou, qui préside la CNSIS et qui est responsable de tous ces sujets de sécurité civile au sein de l'ADF, nous sommes favorables à d'éventuelles  mutualisations ou à des organisations communes. Il y en a une qui va se faire en Corse dans le cadre du nouveau statut. Mais même si on trouve des moyens de mutualisations, ce n'est pas le remède continu au problème d'investissement des Sdis.»

« Naturellement, pour nous», a-t-il poursuivi, «le problème est financier car de nombreux départements connaissent de grandes difficultés en la matière. Ce qui les amène à être frileux sur le budget des Sdis. Il y a une tendance à leur stabilisation, et même une diminution des budgets d'investissement, comme l'a indiqué le président Faure. Mais, bien sûr, l'ADF ne souhaite pas que les Sdis soient les victimes de cette situation budgétaire. Il nous faut collectivement trouver des solutions.»

Promouvoir le dialogue

A cet égard, la ministre Jacqueline Gourault a formulé le vœu que le «comité des financeurs» (NDLR: une instance qui rassemble des représentants des départements, des communes et de l'Etat) soit prorogé, deux après sa création par le précédent gouvernement. Une annonce saluée par le président Faure: «Pendant trop longtemps, l'Etat, les départements, les communes et intercommunalités se sont regardés chacun "en tapant" un peu sur l'autre, et refusant de se mettre autour de la table. Ce qui s'est passé depuis deux ans est important, et je demanderai expressément au ministre que ce comité des financeurs soit réactivé au plus vite.»

Autre point de convergence entre le président Faure et le président de l'ADF: la difficulté de dialogue entre la Santé organisée au niveau des régions à travers les Agences régionales de santé (ARS) et les Sdis qui sont chacun dans leur territoire. «A un moment donné, la Santé utilise cet argument pour dire «Ecoutez, on ne peut pas discuter avec les Sdis parce qu'ils sont trop nombreux, c'est trop compliqué», a expliqué Eric Faure. Dominique Bussereau lui a répondu: «L'ARS de ma région ne parle qu'au ministère et pas au préfet de région. Ce n'est pas normal. Je pense que si on veut que l’État fonctionne, il faut que les préfets de départements et les préfets de régions puissent avoir une véritable autorité sur les services. Et que ceux-ci ne rapportent pas directement à leur administration centrale ou au cabinet ministériel. Et que dans des cas comme cela, l'autorité du préfet doit s'exercer».

Hugues Demeud

Ils l'ont dit

Sénatrice Catherine Troendle, sénatrice du Haut-Rhin, présidente du Conseil national des sapeurs-pompiers volontaires:

«Les 20 millions d'euros manquants de la PFR ont été fléchés dès le départ pour l'investissement des Sdis. Nous autres parlementaires, on s'est battu là-dessus. Le ministre de l'Intérieur, avec l'appui du directeur général de la Sécurité civile et de la gestion des crises, avait aussi insisté sur cet aspect. Aujourd'hui, on se rend compte que le ministère à Bercy a fait un nouvel arbitrage et a décidé de tronquer cette aide. Il faut absolument qu'on monte au créneau de façon très offensive à l'Assemblée et au Sénat pour que ces 22 millions soient sanctuarisés sur les Sdis. C'est un enjeu qui dépasse tout clivage politique.»

Contrôleur général Jean-Yves Noisette, directeur du Sdis du Vaucluse:

«La départementalisation a modernisé l'ensemble des services d'incendie et de secours. Personne ne le conteste. Mais les véhicules qui ont été achetés en 1996 ont aujourd'hui 20 ans. Et on a constaté, nous, dans la zone de défense Sud, quand nous avons combattu les feux de forêt, qu'un grand nombre de nos véhicules d'intervention ne correspondent plus, non seulement aux normes, mais surtout aux niveaux de sécurité et de technique exigé par ce type d'intervention.»

Damien Abad, député de l'Ain:

«Ce qui est en jeu à travers la question des financements des Sdis, c'est notre modèle de sécurité civile. Ce modèle repose sur deux piliers: le volontariat et le maillage territorial. L'un va avec l'autre. Plus on démantèle le maillage et plus on casse le volontariat. [...] Ce que nous ne voulons pas, c'est une France de la sécurité civile à deux vitesses où d'un côté, il y aurait une dynamique financière créée par le phénomène métropolitain et d'un autre côté des déserts de sécurité civile dans des territoires ruraux.»

Kléber Mesquida, président du conseil départemental de l'Hérault, président du Casdis 34:

«Le rôle de l’État, c'est d'assumer la sécurité sur l'ensemble du territoire national avec les contributeurs que sont les collectivités locales et les départements. [...] Lorsqu'on veut augmenter les recettes, on nous dit «Vous ne pouvez pas augmenter les cotisations des communes plus que le niveau de l'indice à la consommation». Par contre, les départements, eux, ne sont pas limités. Comment peut-on brider les cotisations des communes alors que celles des départements sont extensibles à volonté? Pourquoi ne pas laisser la liberté à toutes les collectivités au sein du Sdis de fixer le niveau de ses cotisations? Il me semble que c'est inéquitable et que ce serait simple à régler au niveau réglementaire.»

Olivier Richefou, président de la CNSIS:

«J'appelle de mes vœux à ce que les cotisations formations  des sapeurs-pompiers professionnels aillent vers l'Ensosp et pas vers le CNFPT. Il faut que l'Ecole nationale ait les moyens financiers de monter en puissance.»

Commandant Thierry Nutti, PUD Haute-Corse:

«Je regrette qu'en dehors du réseau fédéral, en dehors du tissu associatif, on ne porte pas suffisamment de réflexions et de propositions sur les spécificités insulaires. Je parle bien entendu également au nom des collègues ultramarins qui sont eux aussi souvent oubliés. Ces territoires insulaires ont sans doute besoin, plus que les autres, d'une attention spécifique, notamment pour leur permettre de continuer à assurer un investissement régulier.»

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